L'Union sociale pour l'habitat
Chargement en cours

AG de la Fédération des ESH : les ESH projettent leur raison d'être dans une France en mouvement AH

Les ESH se sont réunies en assemblée générale le 23 juin, à Paris, autour d’un plateau d’intellectuels aux positions parfois décoiffantes sur la France telle qu’elle est et, surtout, telle qu’elle sera. Des visions prospectives dans lesquelles les dirigeants des organismes peuvent projeter leur mission et leur raison d’être.

Lire l'article

La Fédération des ESH s’est réunie le 23 juin, à Paris, autour de sa raison d’être : “Entreprendre ensemble par l’habitat abordable, pour une société plus durable, solidaire et humaine”. Une formule pouvant apparaître comme un pied de nez aux visions prospectives des intervenants invités en tribune, pas toujours optimistes sur la France telle qu’elle se dessine.

Histoire de bien comprendre d’où l’on part, Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et stratégies d’entreprise de l’IFOP, a lancé quelques images choc de La France sous nos yeux, titre de son ouvrage paru en 2021, coécrit avec le journaliste et essayiste Jean-Laurent Cassely, et qu’il conseille de lire “comme on feuillette un album de famille : vous connaissez tout le monde par cœur et puis vous vous arrêtez sur une photo et vous vous dites “quand-même, elle, qu’est-ce qu’elle a changé !””. Jérôme Fourquet s’est d’abord arrêté sur deux images collées à la page “printemps 1992” : l’une sur la fermeture de l’usine Renaut Billancourt (30 000 salariés) ; l’autre sur l’ouverture d’Eurodisney à Marne-la-Vallée (15 000 salariés aujourd’hui). Un événement qui “a participé à l’américanisation de notre société”, souligne-t-il. Pour preuve, “quand on interroge la France née après l’ouverture de Disney, les trois quarts ont accompli le pèlerinage”. Quant à la désindustrialisation du pays, elle ne s’est jamais arrêtée depuis les années 70, bouleversant des territoires et des paysages que les usines avaient auparavant façonnés.

Maison Plazza

Mais “le plus grand plan social” serait celui entamé dans les années 60 avec le début de “la fin des paysans”. Si la France comptait encore 1 million d’exploitations agricoles en 1989, il n’y en a plus que 380 000 aujourd’hui, si bien qu’“on ne peut plus mettre un signe d’égalité entre ruralité et agriculture”, note Jérôme Fourquet. La ruralité est désormais “peuplée de périurbains qui travaillent à la ville, et qui habitent sur un terrain à lotir entrant dans leur fourchette budgétaire”. Pour un petit moment encore, “la zone commerciale est le cœur battant de nos sociétés (on y consomme, on y amène les enfants, on y lutte aussi)”, même si l’essor du secteur logistique commence à chambouler les zones de chalandise. Avec des conséquences écologiques : “La France de la consommation et de la logistique est irriguée par le bitume”. Le pays compte 400 000 chauffeurs routiers, soit bien “plus que d’agriculteurs !”

Question habitat, “le modèle Plazza(1) représente la norme immobilière à laquelle chaque Français aspire”, c’est-à-dire la maison avec jardin et piscine (ou spa, ou jacuzzi) : la maison “instagrammable”. Et tant pis si c’est “une impasse économique, écologique et sociale”, comme avait prévenu l’ancienne ministre du Logement, Emmanuelle Wargon.

Lutte des places et Zoom towns

Reste que “tout le monde n’est pas à marche égale dans la lutte des places”, en partie parce que “tout le monde ne peut pas gagner au grattage du télétravail” et s’éloigner des centres urbains pour toute ou partie de la semaine. Dès lors, Jérôme Fourquet prédit d’une part une accélération de l’étalement urbain ; et d’autre part, pour les urbains privilégiés, une appétence croissante pour “la ville du quart d’heure à pied ou à vélo”… pourvu qu’elle soit ponctuée d’escapades au vert.

Le sociologue Julien Damon invite lui aussi à s’interroger sur l’avenir des Zoom towns, ces petites communes prisées jusque-là pour les week-ends bucoliques ou des vacances “au vert”, par des urbains privilégiés, et qui se sont révélées en 2020 des lieux refuges durant les confinements dus à la crise sanitaire. Depuis, elles constituent des lieux de résidences permanentes pour travailleurs à distance ou semi-permanentes pour les salariés bi-résidentiels ayant négocié avec leur employeur plusieurs journées de télétravail par semaine. “Les Zoom towns sont-elles l’avenir ou une mode passagère”, questionne Julien Damon, qui va même plus loin : “La ville survivra-t-elle au Covid ?” La question percute celle de la “grande guerre de l’attractivité” que se livrent les territoires et qui, quoi qu’il en soit, selon Julien Damon, sera sans doute accrue dans les années qui viennent.

Le sociologue avait, comme de coutume, enrobé avec humour l’effrayant panorama qu’il dresse de l’avenir de la planète. L’assistance ne s’est pas trop mal sortie de l’épreuve du quizz : oui, en 2050, un tiers de la population urbaine mondiale vivra en bidonvilles (un quart aujourd’hui) ; oui, en 2035, le nombre de décès en France sera supérieur au nombre des naissances et il y aura 270 000 centenaires en 2075 (contre un millier en 1979)… Et, oui : il faut envisager l’habitat de demain en conséquence.

ZAN : l’adapter ou l’imposer ?

“Alerte sur les normes !”, a lancé l’économiste et essayiste Olivier Babeau, qui s’apprête à publier une étude sur les enjeux des normes et de la simplification, dans laquelle il pointe “les conséquences négligées des mesures environnementales”. Et de citer le ZAN : “Comment va-t-on digérer ces normes pour faire face aux contraintes, dont celle de loger les gens ?”, interroge-t-il. Il a déjà quelques pistes : instaurer un moratoire sur les nouvelles normes, redéfinir le périmètre du ZAN et le différencier selon que l’on soit en zone tendue, urbaine ou rurale… Pour le logement social, considérant que le secteur est “hors marché”, on pourrait “imaginer que les contraintes environnementales soient différentes”, en s’appuyant sur la hiérarchie des priorités suivantes : “Loger, loger bien, et en troisième position : loger vert”.

Les économistes Bernard Coloos et Jean Bosvieux ont également constaté que l’objectif ZAN est vécu comme une contrainte par les élus locaux et les constructeurs. À la demande de la Fédération des ESH, ils ont réfléchi à lever les obstacles à la densification. À les écouter commenter leur enquête, le nœud viendrait des maires contraints de répondre aux revendications de leurs administrés (qui sont aussi leurs électeurs et associent trop souvent la densité à de tristes tours). “Tout le monde nous a parlé des maires et des PLU, mais personne n’a évoqué les intercommunalités et les PLH, alors que la politique locale de l’habitat est du ressort des EPCI”, rapporte Jean Morvieux. “Apparemment, le vrai pouvoir revient au maire… qui n’applique pas toujours le PLH”, observe-t-il.

Dès lors, pour construire dense et suffisamment, Bernard Coloos ne voit pas trente-six mille solutions : il faudrait définir les besoins par EPCI, lesquels imposeraient leur répartition entre leurs communes membres. “Pour progresser, il faut permettre aux maires de dire “je n’y peux rien, ces constructions me sont imposées””, résume-t-il. “Et pour ceux qui ne veulent réellement pas bâtir : à part la sanction, je ne vois pas”. Il voit bien en revanche que des quartiers d’habitat social construits dans les années 70 constituent des “gisements considérables” de densification, notamment en Île-de-France. Il souligne enfin le “besoin de monter en gamme sur les opérations de maisons individuelles”, estimant que le permis d’aménager est une bonne solution.

Un réseau qui a foi dans l’avenir

“Nos entreprises seront au rendez-vous”, a assuré Valérie Fournier, reconduite ce jour-là à la présidence de la Fédération pour un nouveau mandat de 4 ans. Mettant en avant “le sens de notre action et de notre utilité sociale”, elle s’est montrée déterminée à imposer le réseau des ESH comme “un partenaire fiable, engagé dans l’intérêt général et qui a foi dans l’avenir, dans le progrès”. Elle incite pour cela à “devenir agile et à se transformer”, sans jamais perdre de vue “le sens des responsabilités en cohésion avec notre écosystème”. “Nous avons un rôle sur l’accès au droit plus large que l’accès au logement : nous accompagnons des personnes”, a-t-elle également souligné en rendant hommage aux résultats du Fonds pour l’innovation sociale (FIS) qui a soutenu depuis sa création, en 2007, près de 300 projets. En ce sens, les ESH sont actrices de “l’économie de la vie” telle que la décrit Jacques Attali, grand témoin régulier des AG de la Fédération.

“Mettre de l’humain dans la rénovation urbaine”, c’est aussi la préconisation de l’équipe des étudiants de l’école urbaine de Sciences Po qui a réalisé, pour le compte de la Fédération, une évaluation qualitative de la rénovation urbaine pour en déterminer les facteurs de réussite et une grille d’analyse à destination des directeurs d’ESH.

Les projections et propositions exposées ce 23 juin n’étaient pas toutes opérationnelles, mais toutes ont atteint leur objectif : changer de focale quant aux futurs besoins en logements et mettre sur la table de nouvelles questions improbables il y a encore deux ans.

(1) Du nom du célèbre agent immobilier, animateur de radio et de télévision, Stéphane Plazza.

 

“L’ouverture d’Eurodisney en 1992 a participé à l’américanisation de notre société.

Jérôme Fourquet