La trajectoire est à présent certaine : la mutation du secteur Hlm sera profonde, elle impactera l’ensemble des familles et des organismes et, par ricochet, la très large majorité des territoires français.
Si une partie des dynamiques de regroupements que connaît actuellement, ou a connue, le Mouvement Hlm est liée à des choix et orientations internes aux organismes ou à leur actionnariat, ou encore à l’évolution des structures locales (réforme de l’intercommunalité…), d’autres facteurs plus exogènes viennent accélérer et amplifier le phénomène. Il s’agit d’abord de la transformation des conditions de financement du secteur, introduite par la loi de Finances 2018, puis du projet de loi ÉLAN, qui, s’il était voté en l’état, imposerait le rattachement à un groupe à tout organisme doté de moins de 15 000 logements. La restructuration du secteur Hlm se généralise et concerne dorénavant l’ensemble des collectivités locales. Les objectifs de la réforme sont d’améliorer la réactivité des organismes vis-à-vis des politiques publiques par une circulation des fonds, le brassage de savoir-faire et de compétences, ou encore l’extension de leurs champs d’intervention.
La restructuration du tissu des organismes Hlm est en passe de devenir le symbole d’un projet de loi exprimant une vision trop centralisée de la politique du logement.
Pour autant, et puisqu’ils sont désormais concernés au premier chef, mais aussi parce que l’initiative leur est extérieure, de nombreux élus locaux se sont exprimés pour pointer davantage les risques que les vertus de ces réorganisations. Les évolutions attendues par les pouvoirs publics nationaux seraient ainsi à leurs yeux inversement proportionnelles aux difficultés que cette restructuration annoncée génèrerait au niveau local. Ce paradoxe entre intérêt national et intérêt local ne serait pas uniquement d’ordre financier, mais concernerait aussi le partenariat et la capacité à mener à bien les projets. La restructuration du tissu des organismes Hlm est en passe de devenir le symbole d’un projet de loi exprimant une vision trop centralisée de la politique du logement.
Une optimisation financière, pour qui ?
L’évolution du modèle économique du logement social, que la loi ÉLAN doit faciliter, serait une première illustration de ce paradoxe. La diminution des financements consentis par l’État est appréhendée comme un facteur de charge supplémentaire pour les collectivités. La vente Hlm l’illustre à leurs yeux de manière concrète. Si la vente de patrimoine favorise un meilleur autofinancement, c’est en faisant abstraction des aides à la production qui ont pu être consenties localement. Le rapprochement d’organismes au sein de groupes immobiliers en est un autre exemple.
Considérant qu’il est très improbable que l’émergence d’entités de taille plus importante suffise à compenser les pertes issues de la loi de Finances, les collectivités s’attendent à être sollicitées plus fortement et à devoir reconsidérer les modalités de leur soutien au secteur. Si quelques-unes envisagent d’augmenter l’effort, la plupart devraient être plus sélectives dans le choix de leurs projets ou dans la distribution de leurs aides. Parce qu’elles pourraient être conduites à recentrer leurs financements en faveur des outils qui leur sont les plus proches, les projets qu’elles portent seront plus difficiles à mettre en œuvre et le partenariat local pourrait s’en trouver altéré.
Dialogue-t-on mieux lorsqu’on est moins nombreux ?
La restructuration du tissu des organismes, inscrite dans le projet de loi ÉLAN, est portée comme le pendant organisationnel de la loi de Finances. Ce serait aussi du point de vue du gouvernement le moyen d’améliorer la gouvernance du secteur. Aux yeux du législateur, qui a publiquement livré ce diagnostic, le nombre d’organismes Hlm en France serait trop important, et certains d’entre eux seraient trop petits pour être efficaces. Sur cette approche, là encore, le regard porté par les collectivités est plus mesuré. Dans un certain nombre de territoires, la diminution du nombre d’opérateurs pourrait, comme au niveau national, faciliter le dialogue avec les institutions publiques. C’est particulièrement vrai en Île-de-France, où les bailleurs sont jugés trop nombreux et leur patrimoine trop restreint, pour garantir une bonne collaboration avec l’intercommunalité. Mais dans d’autres situations, ce resserrement pourrait fragiliser une saine "concurrence" ou une répartition du risque jugée nécessaire pour garantir une négociation équilibrée avec les acteurs publics. Les collectivités qui avaient organisé par le passé des démarches d’ouverture volontaires visant, par l’arrivée d’acteurs nouveaux, à impulser une émulation positive et le développement de savoir-faire, considèrent ces évolutions comme inopportunes.
Les collectivités s’attendent à être sollicitées plus fortement et à devoir reconsidérer les modalités de leur soutien au secteur.
Doit-on être plus gros pour mieux accompagner les politiques publiques ?
Les facteurs de regroupement entre organismes sont appréhendés par certains comme les signaux avant-coureurs d’une mécanique inéluctable conduisant à l’émergence de groupes immobiliers d’une taille toujours plus importante (contraintes financières, principe d’un seuil défini a priori). Depuis la loi NOTRe, le plus petit échelon de référence des organismes étant souvent l’intercommunalité, l’augmentation de leur taille est perçue comme un facteur de mise à distance de la politique locale de l’habitat. L’émergence de groupes pourrait ainsi mettre les collectivités en difficulté pour négocier localement des engagements en matière de constructions, de réhabilitations ou de ventes, dont le choix serait opéré à un niveau supérieur. Les mesures de facilitation de la vente Hlm et le report de leur négociation au niveau des conventions d’utilité sociale, dont une partie serait traitée au niveau du groupe, en est pour elles l’illustration.
Quelle place pour les élus locaux ?
Enfin, et il s’agit peut-être du premier sujet de préoccupation des élus locaux, l’effet cumulé de la loi de Finances et de la loi ÉLAN pourrait assez rapidement fragiliser leur rôle de pilotage direct du secteur. L’intégration d’OPH dans des groupes pourrait à leurs yeux avoir pour corollaire un pilotage politique plus distendu des organismes dont ils ont aujourd’hui la tutelle. Si la troisième voie proposée par le modèle des sociétés de coordination (SAC) permet de préserver la gouvernance initiale de chaque entité, certains regrettent qu’il ne leur soit pas accordé une place de premier rang au sein de ces sociétés.
La nécessité d’un rôle plus affirmé des collectivités locales
La plupart des collectivités locales pointent ainsi le risque d’une contradiction entre les effets nationaux et les effets locaux de la restructuration du tissu des organismes Hlm en termes d’efficacité, de capacité à agir ou de partenariat. D’autres sont néanmoins plus discrètes, considérant que ces évolutions pourraient être relativement neutres sur le fonctionnement local.
L’émergence de nouveaux groupes pourrait, en effet, donner lieu à des configurations locales très différentes les unes des autres. Elle pourrait, dans certains cas, faciliter la convergence territoriale entre la collectivité et les organismes, garantissant la réinjection des résultats financiers obtenus localement et un "retour sur investissement" des collectivités locales ayant apporté une contribution financière. Elle pourrait, dans d’autres cas, produire une décorrélation plus forte entre le périmètre d’action de la collectivité et de l’organisme, facilitant en cela les flux financiers d’un territoire à l’autre. Si ces deux modèles présentent autant d’avantages que de risques, ils montrent surtout combien les collectivités pourraient être impactées de manière inégale par les évolutions à venir.
Dans les territoires les plus attractifs, l’évolution de l’organisation du secteur Hlm pourrait être sans incidence majeure, voire favoriser le renforcement du poids de la politique locale, par effet de contraste avec des secteurs plus dépréciés, où les organismes auront davantage de difficultés et d’aspirations à agir. Pour ces territoires moins bien dotés, les réorganisations pourraient à l’inverse accélérer leur déqualification, la difficulté à dialoguer et les impasses de financement.
Cette diversité de trajectoires possibles met en évidence la légitimité des attentes exprimées par les élus locaux et leurs associations pour qu’il leur soit accordé une place plus importante dans le projet de loi. Ceux-ci demandent à pouvoir disposer de davantage d’instruments leur permettant d’être un interlocuteur incontournable des organismes, autour d’une gouvernance "de contrat" replaçant la politique locale au cœur des stratégies patrimoniales.
Les collectivités demandent à pouvoir disposer de davantage d’instruments leur permettant d’être un interlocuteur incontournable des organismes.
Leur accorder ces opportunités pourrait favoriser un partenariat plus équilibré entre organismes Hlm, services de l’État et élus locaux, et favoriser la mobilisation d’une expertise locale précieuse. Ce serait aussi la possibilité d’assurer une plus grande équité territoriale et une meilleure égalité des chances entre les collectivités bien armées et celles en plus grande difficulté.
Mais si elles sont pertinentes et méritent d’être accompagnées, ces revendications ne doivent pas pour autant dessaisir l’État de sa responsabilité de solidarité nationale et de régulation, la seule à même de garantir la mobilisation de moyens financiers et d’ingénierie là où cela est nécessaire.
Contact : Dominique Belargent, USH-DCom.