Depuis trois décennies, de nombreuses mesures ont été adoptées en faveur d’une protection accrue des locataires menacés d’expulsion locative. La question reste d’actualité et la crise sans précédent liée à la pandémie de Covid 19, a révélé les carences des dispositifs mis en place. Ainsi, l’État a, dans un premier temps, face à l’urgence, apporté des modifications règlementaires en étendant la période de trêve hivernale par exemple (voir notre article “Expulsions locatives et urgence sanitaire : quelle indemnisation pour les bailleurs”, AH 1142 du 15 avril 2021).
Mais il apparaît qu’il faudra modifier plus profondément la loi afin d’atteindre l’objectif affiché du “zéro mise à la rue”.
Les préconisations du rapport parlementaire du député Nicolas Démoulin, remis le 8 janvier 2021 à la ministre déléguée chargée du Logement(1), inspireront les futures modifications législatives qui auront pour objectif d’éviter la précarisation des locataires les plus vulnérables. L’USH sera, à cette occasion, force de proposition et attentive à ce que les intérêts des organismes Hlm soient pris en compte.
Dans cette attente, le plan interministériel de prévention des expulsions locatives, lui aussi inspiré du rapport Démoulin, tente d’anticiper les prochaines évolutions en orientant les pratiques de l’administration et en renforçant les moyens alloués.
Il propose trois orientations :
- définir et mettre en œuvre une stratégie territorialisée de sortie de crise en matière de prévention des expulsions locatives; - coordonner une prise en charge rapide et pluridisciplinaire des ménages menacés d'expulsion ;
- favoriser le maintien et améliorer les capacités de relogement des ménages menacés d'expulsion locative.
Ces orientations ont permis de définir neuf mesures à mettre en place, elles-mêmes déclinées en 32 actions concrètes à mener en 2021 et 2022.
S’adressant à l’administration par nature, la mise en place du plan interministériel met en lumière un élément prépondérant : l’application concrète et efficiente de la loi n’a rien d’automatique et nécessite à la fois un cadrage de l’action des différents intervenants ainsi que l’octroi de moyens adéquats.
Cadrage de l’action de l’administration et augmentation des moyens alloués
Parmi les 32 actions prévues dans le plan interministériel, nombreuses sont celles qui ne visent qu’à organiser les services de l’État au niveau national et territorial. C’est par exemple l’objectif des actions 1 à 3 qui visent à définir la stratégie nationale, les objectifs de sortie de crise 2021-2022 et à confier aux préfets la mise en œuvre de plans d'actions départementaux permettant de la décliner au niveau territorial, assurer le suivi mensuel des objectifs et améliorer la coordination interministérielle en matière de mise en œuvre de la politique de prévention des expulsions locatives. Cela peut paraître étonnant après trente ans de politiques de prévention des expulsions locatives mais cela semble cependant nécessaire tant les disparités peuvent être flagrantes selon le territoire concerné. Une seconde catégorie d’actions prévues dans le plan vise à adapter les moyens alloués aux objectifs poursuivis. Le plan prévoit par exemple :
- de renforcer les effectifs en charge du relogement ainsi que du traitement des concours de la force publique des Commissions de coordination des actions de prévention des expulsions (CCAPEX) et des préfectures (action n°4) ;
- de déployer et pérenniser les commissions locales des CCAPEX (action n°5) ;
- d’augmenter les capacités d'instruction et de raccourcir les délais de prise en charge des signalement d'impayés locatifs reçus par la CCAPEX en développant les fonctionnalités d’EXPLOC(2) (action n°9) ;
- d'indemniser les propriétaires bailleurs ayant requis le concours de la force publique dont les occupants sont maintenus du fait de la crise sanitaire en abondant le fonds prévu à cet effet à la hauteur des besoins et en renforçant les effectifs en charge de l'instruction des demandes d'indemnisation (action n°27).
Il s’agit ici de permettre une application concrète des règles existantes mais dont l’effectivité souffrait d’un manque de moyens humains et financiers régulièrement dénoncé.
L’ensemble de ces actions, de nature administrative, ne nécessite pas d’évolution législative ou règlementaire mais aura une influence bénéfique sur l’application de règles déjà en vigueur dont l’application pouvait être retardée voire entravée.
Il en est de même de toutes les actions prévues qui concernent la coordination des actions des différents acteurs sociaux intervenant lors de la procédure.
Anticipation des évolutions règlementaires
Le plan interministériel contient également plusieurs actions qui nécessiteront une modification du cadre règlementaire existant. Certaines ont déjà été mises en place comme l’harmonisation de la réalisation du diagnostic social et financier transmis au magistrat avant l'audience judiciaire afin qu'il dispose d'un maximum d'informations sur la situation du locataire et du bailleur lors de sa décision (action n°17) par le décret n° 2021-8 du 5 janvier 2021(3).
D’autres nécessitent des évolutions réglementaires (voire législatives). Il s’agit notamment des mesures suivantes :
- réduction des délais règlementaires de signalement de l'impayé locatif à la CAF de façon à pouvoir prendre en charge le plus rapidement possible les ménages en difficulté de paiement (action n°14) ;
- permettre l'accès des commissaires de justice aux parties communes des immeubles afin qu'ils puissent entrer directement en contact avec les personnes menacées d'expulsion ou, à défaut, remettre les actes et informations relatifs à la procédure et aux dispositifs de prévention dans leur boîte aux lettres (action n°18) ;
- confier aux commissaires de justice une mission règlementaire de sensibilisation et de recueil d'informations auprès des locataires dès le stade du commandement de payer afin de disposer des informations nécessaires à la prise en charge rapide et adaptée des locataires en situation d'impayé locatif par la CCAPEX et détailler l'ensemble des aides et accompagnements à disposition des ménages dans un document adaptant les contacts à chaque département (action n°19) ;
- simplifier l'accès et le contenu des informations transmises aux locataires dans le cadre de la procédure d'expulsion en utilisant la méthodologie “Facile à lire et à comprendre” [développer la transmission d'informations par SMS aux différents stades de la procédure, simplifier le contenu des actes d'huissiers à tous les stades de la procédure suivant la méthode FALC - qui permet de rendre accessibles les informations pour les personnes ayant un handicap intellectuel -, harmoniser les courriers transmis par les préfectures au niveau national en simplifiant leur contenu] (action n°20) ;
- définir au niveau national en lien avec les partenaires de la prévention, la notion règlementaire de mauvaise volonté en matière d’impayés locatifs de façon à permettre aux dispositifs administratifs (FSL, CCAPEX, CAF) et judiciaire de discriminer objectivement ce critère à l'instar de la Banque de France (action n°25) ;
- prévoir l'envoi d'un courrier type au locataire explicitant les implications d'une décision d'expulsion conditionnelle, notamment en matière de respect du terme du paiement et de possibilité de saisine des organismes locaux d'apurement de la dette (action n°28) ;
- prévoir que les décisions de justice conditionnant le maintien du bail au respect de l'échéancier judiciaire laissent par défaut la possibilité au locataire de s'acquitter du premier paiement dans un délai de 30 jours calendaires suivant la signification par le commissaire de justice, sauf demande contraire des parties (action n°29) ;
- sanctionner le non-respect de l'obligation de re-signature d’un bail à l’issue d’un protocole de cohésion sociale (PCS) respecté dans le parc social, en application de l'article 98-V de la loi du 18 janvier 2005 relative à la cohésion sociale (action n°30).
Toutes ces mesures vont dans le sens d’une meilleure protection des locataires menacés d’expulsion locative en rationnalisant la mise en place des dispositifs. Harmonisation et meilleure coordination sont nécessaires au vu des nombreux acteurs intervenant dans la prévention des expulsions locatives, aux objectifs parfois contradictoires.
L’équilibre entre les rôles respectifs du bailleur, du juge et du préfet est fragile.
Le juge applique la loi. Celle-ci doit donc être conforme aux objectifs poursuivis, préserver les intérêts de chaque partie et doit pouvoir être appliquée. Le bailleur social doit pouvoir remplir pleinement sa mission de service public. Le préfet, lui, doit être le garant d’un fonctionnement fluide des services de l’État dans les territoires afin que l’action des magistrats et des bailleurs soit effective.
Le plan interministériel de prévention des expulsions locatives (2021-2022) prend la mesure des évolutions nécessaires. Il constitue une première étape. Il devrait permettre une meilleure application des mesures existantes mais cela n’est pas suffisant. Les prochaines adaptations réglementaires et législatives devront entériner les orientations décidées et permettre une prévention des expulsions locatives plus efficace.
(1) Rapport remis au Premier ministre - décembre 2020 - Prévenir les expulsions locatives tout en protégeant les propriétaires et anticiper les conséquences de la crise sanitaire (Covid-19). Voir AH 1138 du 15 février 2021.
(2) Plateforme électronique permettant l’interface des logiciels des administrations concernées et de l’huissier de justice.
(3) Décret n° 2021-8 du 5 janvier 2021 relatif aux modalités de réalisation et au contenu du diagnostic social et financier effectué dans le cadre d'une procédure judiciaire aux fins de résiliation du bail.
Thèmes : Procédures - Expulsions.
Contact : Fabien Elie, conseiller juridique, pôle Gestion locative - Direction juridique et fiscale, USH. Tél. : 01 40 75 78 60 Mél. : ush-djef@union-habitat.org