"C’est une petite révolution dans le modèle d’accession sociale à la propriété." C’est par ces mots, que la directrice générale déléguée d’Espacité, Anne-Katrin Le Dœuff, a défini le déploiement en cours du dispositif organisme foncier solidaire (OFS) et bail réel solidaire (BRS). Issu des lois ALUR et ÉLAN, il arrive à un moment où l’accession à la propriété n’a jamais été aussi inéquitable depuis le début des années 1970. À l’époque, le taux de propriétaires appartenant au 1er quartile de revenus (les 25% les plus pauvres) était de 33%, inférieur de 10 points au taux de ceux appartenant au 4e quartile. En 2013, il était tombé à 16%, et l’écart était passé à 50 points. Dans ce contexte, l’OFS-BRS vient compléter et renforcer la boîte à outils de l’accession sociale dans laquelle figurent déjà le PSLA, la VEFA à taux réduit et le PTZ auquel il peut se cumuler. Si sa mise en route peut s’avérer délicate en raison de sa nouveauté, son principe de fonctionnement est simple. Les OFS créés actuellement le sont à l’initiative de trois familles d’acteurs : organismes Hlm, établissements publics fonciers, collectivités locales. L’OFS achète le foncier et en reste propriétaire tandis que les ménages acquéreurs ne détiennent que les murs et lui versent une redevance en contrepartie de l’occupation du foncier. Leurs relations sont régies par un bail rechargeable qui comporte des clauses anti-spéculatives afin de maintenir la vocation sociale du bien lors des reventes successives.
L’expérience rennaise
Le périmètre d’intervention de l’OFS - mis sur pied par Rennes-Métropole avec les acteurs du logement social et présidé par Honoré Puil, vice-président en charge du logement, de l’habitat et des gens du voyage - concerne les secteurs les plus attractifs du cœur du territoire et des communes de plus de 10 000 habitants. Dans les autres secteurs, l’accession sociale se poursuit via le PSLA. À noter que le prix d’acquisition en PSLA est fixé à 2 230 euros/m² TTC, tandis que celui de l’OFS s’élève à 2 055 euros. "La différence se justifie par la pleine propriété des logements PSLA (foncier et bâti) ainsi que par la possibilité de les revendre aux conditions du marché en dépit des clauses anti-spéculatives", précise la responsable du service Habitat, Nathalie Demeslay. Cette différence s’explique aussi par la garantie qu’offre l’OFS au propriétaire des murs. Il a l’assurance de revendre son bien au prix d’acquisition indexé sur l’indice de référence des loyers (IRL) : faute d’acheteur, l’OFS lui rachète son bien. À fin novembre 2018, l’organisme rennais avait déjà lancé 128 logements en BRS, et l’an prochain, il en lancera 150 de plus dans des quartiers attractifs avec une décote de 50% par rapport au marché. "Nous allons ainsi pouvoir accélérer la mixité dans les zones les plus tendues", souligne la responsable du service Habitat. Elle annonce, en outre, la mise en œuvre d’une servitude de mixité sociale dès le 1er janvier 2019. Au-delà de 15 logements, les opérateurs privés qui achètent du foncier dans le diffus devront produire une quote-part de logements destinés au BRS.
PÉRENNISER LES EFFETS DE L’INVESTISSEMENT PUBLIC
Ce dispositif d’accession à des logements abordables répond à de nombreux enjeux. "Les clauses anti-spéculatives des outils d’accession existants ne fonctionnaient pas bien", explique Nathalie Demeslay, responsable du service habitat de Rennes-Métropole. "Les logements que nous financions étaient vite recyclés aux prix libres du marché. Avec l’OFS-BRS, la collectivité peut pérenniser ses investissements dans les politiques d’accession sociale, ce qui va avoir également pour effet d’augmenter le parc de logements abordables." Ce nouvel outil constitue en effet une opportunité importante pour maintenir, dans la très longue durée, une offre de logements accessibles à des ménages à revenus moyens ou modestes, exclus des marchés fonciers spéculatifs. "L’absence de maîtrise foncière publique ou la présence d’aménageurs, public comme privé, qui privilégient les acteurs privés dans un souci de rentabilité sont des facteurs aggravants de ces inégalités territoriales", comme le précise Vincent Lourier, directeur de la Fédération des Coop’Hlm.
LES NOMBREUSES DÉCLINAISONS DE L’OFS-BRS
L’intérêt de l’OFS-BRS n’est pas cantonné aux zones tendues. "À peine créé, le BRS s’affirme comme le “couteau suisse’’ des politiques de l’habitat", selon Anne-Katrin Le Dœuff. Les intervenants ont rappelé qu’il permettait aussi d’intervenir utilement dans les secteurs détendus. Par exemple, dans les centres-villes anciens où les coûts de restructuration sont très élevés et incompatibles avec les revenus des ménages modestes. Il peut permettre de diversifier l’offre. Dans ce cas, l’OFS-BRS lisse, dans la très longue durée, l’effort financier nécessaire pour assurer l’accessibilité du bien. Vincent Lourier y voit aussi une opportunité pour produire des logements en accession abordable dans le cadre du programme Action cœur de ville et pourquoi pas traiter des copropriétés en voie de dégradation.
Les intervenants ont évoqué la vente des logements Hlm à des OFS. Convaincues de l’efficacité des clauses anti-spéculatives du BRS, certaines collectivités locales souhaitent généraliser cette solution afin de conserver au bien sa vocation sociale sur le long terme. Les collectivités apprécient également la réduction des risques de dégradation des logements détenus par des propriétaires occupants grâce à la veille permise par la présence de l’OFS. Pour les organismes, l’intérêt de vendre à un OFS est d’avoir un retour de fonds immédiat. Mais si l’organisme Hlm est lui-même OFS, il lui faudra davantage de temps pour reconstituer ses fonds propres.
UN PRÉALABLE, MAÎTRISER LE FONCIER
Le succès d’un dispositif OFS-BRS dépend du respect de certains paramètres ; l’effort financier consenti par le ménage pour être propriétaire de son logement doit être en rapport avec les revenus des publics visés. Les intervenants ont fait observer que, si sur les opérations commercialisées à ce jour les prix de vente sont inférieurs de 30 à 50% à ceux du marché, il convient d’y ajouter le montant de la redevance payée chaque mois par le ménage en contrepartie de cette acquisition. La vigilance s’impose sur le montant de ces redevances, qui s’échelonnent de 12 centimes d’euros au mètre carré à près de 5 euros dans les secteurs les plus tendus. Aux yeux d’Anne-Katrin Le Dœuff, "pour atteindre l’objectif, il faut que les charges des ménages qui achètent en BRS soient équivalentes à celles d’un loyer." De ce point de vue, les collectivités locales ont un rôle à jouer en agissant sur le foncier pour aider l’OFS à maintenir au plus bas la redevance.
Fin 2018, huit OFS-BRS sont agréés par l’État, le premier ayant été celui de Lille, en février 2017. Le nombre d’organismes actifs devrait rapidement augmenter, avec une bonne trentaine de projets de création en cours.
Contacts USH : Dominique Belargent (Direction de la Communication), Cécile Chopard et Chrystel Gueffier-Pertin (Direction de la Maîtrise d’ouvrage et des Politiques patrimoniales).
Le Mouvement Hlm et le dispositif OFS-BRS
Mission historique du Mouvement Hlm, la production d’une offre en accession de logements neufs à un prix abordable est pratiquée par plus d’un organisme sur deux. En 2017, les ventes de logements neufs, collectifs et individuels, ont dépassé les 9 000 unités. Les organismes Hlm, et en particulier les Coop’Hlm, se sont intéressés très tôt au bail réel solidaire. Leur implication prend aujourd’hui deux formes. D’une part, les organismes Hlm sont légitimes à être maîtres d’ouvrages des opérations commercialisées en BRS sur des terrains mis à disposition par un OFS. "Le montage de ces opérations est assez classique et elles constituent un outil stratégique pour affirmer notre place dans la façon de produire la ville", fait valoir Vincent Lourier, directeur de la Fédération des Coop’Hlm. D’autre part, les organismes Hlm peuvent aussi être partie prenante, voire à l’initiative d’un organisme de foncier solidaire pour faciliter le développement du BRS sur un territoire. Dans ce cas, l’organisme peut avoir un rôle encore plus actif et aller jusqu’à prendre en charge certaines fonctions de l’OFS par le biais de conventions de prestations. "Dès la parution des derniers textes règlementaires en mai 2017, la Fédération des Coop’Hlm a pris la décision d’encourager la création de dix OFS pour démontrer, par l’exemple, la pertinence de ce nouveau dispositif", poursuit Vincent Lourier. À ce jour, cinq des huit OFS agréés par l’État ont été créés à l’initiative de Coopératives Hlm et cinq sont en cours d’agrément. Ces démarches se font dans un esprit inter-organismes puisque la forme juridique généralement retenue est celle d’une coopérative d’intérêt collectif, ouverte aux opérateurs Hlm, aux collectivités locales mais aussi aux futurs habitants, ce qui est une spécificité de la démarche Hlm par rapport à d’autres initiatives.
À savoir
Les web-conférences du Réseau des acteurs de l’habitat prolongent généralement ses journées nationales. Elles peuvent aussi être consacrées à un sujet d’actualité émergent. Animées par Dominique Rousset, journaliste, elles réunissent en principe un représentant de collectivités locales, du monde Hlm et un expert ou chercheur. Elles se déroulent sur un temps bref (1h15) et sont interactives : le 14 novembre, plus de 120 questions ont été posées. Les web-conférences sont consultables en replay sur le site du Réseau des acteurs de l’habitat (www.acteursdelhabitat.com) et sont accompagnées d’un dossier complet qui permet d’approfondir le sujet.