À la fin de l’année 2021, alors même que rien ne laissait présager la survenue d’un conflit russo-ukrainien aux effets délétères sur le marché de l’énergie, les pouvoirs publics anticipaient une forte hausse du prix du gaz naturel en instaurant un “bouclier tarifaire”. Par décret du 23 octobre 2021, les tarifs réglementés de vente de gaz naturel (TRVg) d’Engie étaient gelés à leur niveau TTC d’octobre 2021 jusqu’au 30 juin 2022. Puis, la loi de finances pour 2022 étendait ce gel aux entreprises locales de distribution dont les tarifs sont supérieurs à ceux d’Engie.
Ce bouclier tarifaire ne s’applique pas à tous les contrats mais seulement à ceux passés par les consommateurs résidentiels et les petites copropriétés (consommant moins de 150 MWh/an) disposant à titre individuel d’un contrat d’approvisionnement en gaz naturel.
Beaucoup d’occupants de l’habitat collectif, notamment ceux du parc Hlm, les plus fragiles économiquement, se trouvaient donc exposés directement à l’explosion du coût du gaz, répercutée sur le montant des charges locatives. C’est pourquoi, dès le mois de février, le gouvernement annonçait l’extension du bouclier tarifaire à l’habitat collectif, mesure réclamée par l’USH, ses Fédérations et les organisations nationales représentatives des locataires.
À la suite de cette annonce, un dispositif a été élaboré conjointement par les services de l’État, les fournisseurs d’énergie et les acteurs du secteur du logement, dont le Mouvement Hlm. L’aboutissement de ces travaux fut la publication du décret du 9 avril 2022, qui met en place une aide financière en faveur de l’habitat collectif résidentiel pour la période comprise entre le 1er novembre 2021 et le 30 juin 2022.
Champ d’application et mécanisme
Selon l’article 1er du décret précité, “une mesure d’aide est instaurée, au bénéfice des personnes physiques qui résident à titre principal ou secondaire :
- dans une maison individuelle directement raccordée à un réseau de chaleur,
- dans un immeuble à usage total ou partiel d’habitation soumis au statut de la copropriété (…),
- dans un immeuble à usage total ou partiel d’habitation géré par un organisme d’habitation à loyer modéré (…), une société d’économie mixte (…), la société anonyme Sainte-Barbe, l’association foncière logement (…) ou les sociétés civiles immobilières dont les parts sont détenues à au moins 99% par cette association, ou un organisme bénéficiant de l’agrément prévu à l’article L.365-2 du [Code de la construction et de l’habitation], dès lors qu'il y est fait application des alinéas 6 à 10 de l’article 23 de la loi du 6 juillet 1989 susvisée,
- dans un immeuble collectif à usage total ou partiel d’habitation appartenant à un propriétaire unique dès lors qu'il y est fait application des alinéas 6 à 10 de l’article 23 de la loi du 6 juillet 1989 susvisée,
- dans un immeuble à usage total ou partiel d’habitation compris dans le périmètre d’une association syndicale de propriétaires régie par l’ordonnance (…) du 1er juillet 2004 (…), lorsque cette association est cliente d’une des entreprises visées au premier alinéa de l’article 2, et si celles-ci sont approvisionnées en chaleur :
(i) à partir d’une chaufferie collective au gaz naturel (…) ;
(ii) ou par un exploitant d’une chaufferie au gaz naturel (…) ;
(iii) ou par un gestionnaire d’un réseau de chaleur urbain, utilisant en tout ou partie du gaz naturel (…).”
L’article 10 étend l’aide “dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités, (…), aux gestionnaires des établissements et lieux suivants :
a) logements-foyers mentionnés à l’article L.633-1 du Code de la construction et de l’habitation ;
b) résidences universitaires et résidences (…) ;
c) lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile (…) ;
d) établissements d’hébergement visés aux articles L.345-1 à L.345-4 et à l’article L.349-1 du Code de l’action sociale et des familles.”
Une mesure plus corrective que préventive
Mais comment fonctionne le dispositif ? Là où le bouclier tarifaire, qui couvre les contrats individuels, a un effet immédiat en gelant le prix du gaz et abaisse mécaniquement, le cas échéant, le montant des factures, l’aide prévue pour l’habitat collectif nécessite, elle, un délai pour son calcul et son reversement. La mesure est plus corrective que préventive.
L’aide est calculée mensuellement pour la période du 1er novembre 2021 au 30 juin 2022. Le calcul de son montant est défini dans le décret. Ce montant est plafonné à la différence entre le prix contractuel et le prix TRVg bloqué au 31 octobre 2021. Par conséquent, l’aide peut ne pas couvrir la totalité du surcoût si le prix contractuel est supérieur au tarif TRVg B1 niv2 indexé. Inversement, cela signifie que certains locataires subiront l’augmentation du prix du gaz sans bénéficier de l’aide, le tarif contractuel de départ étant initialement très inférieur au tarif bloqué.
Le mécanisme fait intervenir plusieurs intermédiaires entre l’État et le locataire. En effet, c’est l’entreprise fournissant du gaz naturel ou l’exploitant d’installations de chauffage collectif ou encore le gestionnaire de réseaux de chaleur urbains qui, dans un premier temps, présente une demande, pour le compte et au bénéfice des personnes physiques éligibles à l’aide, auprès de l’Agence de services et de paiement. Une fois perçue, cette aide est reversée au bailleur, qui, lui-même, la répercute auprès de ses locataires.
La date limite des demandes a été fixée au 1er octobre 2022. L’État dispose alors d’un délai de trente jours pour verser l’aide aux fournisseurs, qui ont alors à leur tour trente jours à compter du versement pour la reverser aux bailleurs. Ainsi, toutes les aides concernant la période s’étendant du 1er novembre 2021 au 30 juin 2022 devraient être perçues par les OLS au 1er décembre prochain.
Traitement par les bailleurs sociaux
Une fois qu’il a perçu l’aide, l’organisme Hlm a deux obligations : celle d’informer les personnes physiques de la mesure d’aide dont elles bénéficient et de son impact sur leurs charges au plus tard un mois après le versement ; et celle d’imputer l’aide sur les charges locatives des personnes physiques éligibles au titre desquelles elle a été versée.
La première obligation ne laisse aucune marge de manœuvre. Tous les locataires éligibles doivent connaître, dans le mois après le versement de l’aide au bailleur, son existence et son incidence sur leurs charges locatives (ce qui semble signifier son montant exact).
Pour honorer la seconde obligation, le reversement de l’aide peut intervenir au moment de la régularisation de charges, c’est d’ailleurs ce que recommande l’administration. Ainsi, pour la quote-part de l’aide afférente aux mois de novembre et décembre 2021, il convient de l’isoler et de l’imputer sur la régularisation de charges locatives de l’année 2021, si nécessaire par une opération corrective. Les aides perçues pour la période allant du 1er janvier au 30 juin 2022 pourront, elles, être traitées au moment de la régularisation de charges locatives 2022, qui n’interviendra qu’en 2023.
Le mécanisme retenu a également un impact sur la fixation du montant des provisions de charges, réévalué annuellement au moment de la régularisation. Ainsi, une fois la régularisation de charges 2021 opérée, il semble cohérent de calculer le montant des provisions à venir sur le coût réel de la fourniture de gaz 2021 déduction faite de l’aide à venir pour la période allant du 1er janvier au 30 juin 2022, celle-ci étant connue. La difficulté réside ici dans le fait que de nombreuses interrogations subsistent quant au prolongement de la mesure après le 30 juin 2022.
L’avenir de la mesure
L’article 37 de la loi de finances rectificative pour 2022 a d’ores-et-déjà prolongé le gel des TRVg jusqu’au 31 décembre 2022, “bouclier tarifaire” qui bénéficie aux particuliers et petites copropriétés. Les pouvoirs publics se sont également engagés à prolonger l’aide en faveur de l’habitat collectif, au moins jusqu’à la fin de l’année. Au moment où cet article est rédigé, l’élaboration du décret prorogeant le dispositif, à laquelle l’USH est associée, est toujours en cours. Enfin, le 14 septembre dernier, la Première ministre, Élisabeth Borne, a annoncé le maintien d’un bouclier tarifaire en 2023, dans des conditions qui resteront à définir.
(1) Décret n° 2021-1380 du 23 octobre 2021 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel fournis par Engie et faisant application du dernier alinéa de l’article R. 445-5 du Code de l’énergie.
(2) Article 181 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022
(3) Décret n° 2022-514 du 9 avril 2022 relatif à l’aide en faveur de l’habitat collectif résidentiel face à l’augmentation du prix du gaz naturel.
Thèmes : Gestion locative - Charges locatives.
Contact : Fabien Élie, conseiller juridique, pôle gestion locative, Direction juridique et fiscale - Mél : ush-djef@union-habitat.org
Pour en savoir plus : Dossier Hausse du prix du gaz