
Date de publication :
25 avril 2023
Auteur(s) :
BARBARA FOURCADE
Gestion locative : les apports de la jurisprudence en matière de transfert de bail
Le transfert de bail en cas de décès du locataire en titre est régi par les dispositions des articles 14 et 40 de la loi du 6 juillet 1989(1). La jurisprudence en la matière est foisonnante et permet de donner un éclairage aux situations souvent particulières auxquelles sont confrontées les bailleurs au quotidien.
Les arrêts rendus ces dernières années, relatifs aux transferts de bail en cas de décès d’un locataire, sont parfois venus confirmer une jurisprudence plus ancienne ou ont permis de répondre à de nouvelles interrogations, faisant ainsi constamment évoluer la matière.
L’automaticité du transfert de bail réaffirmée
Les bailleurs s’interrogent régulièrement sur le caractère automatique, ou non, du transfert de bail. La question est ici de savoir s’il appartient au bénéficiaire d’effectuer une démarche positive et manifester sa volonté, ou non, de disposer du transfert de bail. Sur ce point, la Cour de cassation avait déjà jugé en 2006 que le transfert de bail est automatique dès lors que le bénéficiaire répond aux conditions légales(2).
Cette position est réaffirmée dans un arrêt récent de 2022(3). Dans cette affaire, le fils de la locataire en titre avait caché le décès de sa mère au bailleur, informé plusieurs années plus tard par l’administration fiscale. Le fils a alors revendiqué le transfert de bail à son profit quatre ans après le décès de sa mère. La Cour d’appel de Paris(4), pour déclarer le fils irrecevable en sa demande, avait jugé que sa demande était prescrite et donc irrecevable : “S’il est exact qu’il est de principe qu’en cas de décès du locataire, le transfert de son bail aux personnes visées par l’article 14 présente un caractère automatique à condition que les conditions exigées par la loi soient réunies, il demeure qu’il s’agit là de la consécration d’un droit qui existe effectivement au jour du décès du locataire, mais que l’exercice de ce droit doit donner lieu à une action tendant à faire reconnaître la réalité de ce droit, action dérivant d’un contrat de bail et, partant, soumise à la prescription triennale applicable aux “actions dérivant d’un contrat de bail à compter du jour ou le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer ce droit” ainsi qu’en dispose l’article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989”.
Or, la Cour de cassation retient que la Cour d’appel de Paris a violé les articles 14 et 40 (I) de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 en statuant ainsi alors que le transfert du bail à l’occupant qui remplit les conditions, opère par l’effet même de la loi à la date du décès du locataire.
Pour mémoire, la Cour de cassation fait toutefois une exception à l’application du principe d’automaticité lorsqu’il s’agit du conjoint survivant qui n’habite pas dans les lieux (et qui n’est donc pas cotitulaire et ne bénéficie pas de ce fait d’un droit exclusif sur le logement)(5). Dans ce cas, “le bail est transféré au conjoint survivant qui n’habite pas dans les lieux à condition qu’il en fasse la demande”.
Il faut rappeler que ce caractère automatique n’exonère pas le bénéficiaire du transfert de bail de justifier qu’il respecte les autres conditions posées par l’article 40 de la loi du 6 juillet 1989 (cf. tableau). Ainsi, deux sœurs ont été déboutées de leur revendication de transfert de bail car elles ne justifiaient ni d’avoir vécu avec leur mère depuis au moins un an à la date de son décès (l’attestation sur l’honneur produite n’ayant pas été jugée probante), ni de leurs ressources. La Cour d’appel de Paris(6) rappelle à cet égard “qu’en application de l’article 4 de l’arrêté du 29 juillet 1987(7) (…), le montant des ressources à prendre en compte pour apprécier la situation de chaque ménage requérant est égal au revenu fiscal de référence de chaque personne composant le ménage, figurant sur les avis d’imposition établis au titre de l’avant-dernière année précédant celle du décès” ; ainsi la production de l’avis d’imposition postérieur n’est pas suffisante. Le bailleur avait par ailleurs alerté plusieurs fois les intéressées sur la nécessité de produire les justificatifs prescrits pas la loi.
Le conjoint reste cotitulaire du bail du domicile conjugal
Un conjoint qui a quitté le domicile conjugal, même depuis plusieurs années, reste cotitulaire du bail. En effet, les époux demeurent cotitulaires du bail qui a servi effectivement à l’habitation des époux jusqu’à la transcription du jugement de divorce en marge des registres de l’état civil(8). Par conséquent, en cas de décès de l’époux(se) resté(e) dans les lieux, l’autre membre du couple qui était parti dispose d’un droit exclusif sur le bail, sauf s’il y renonce expressément(9).
La Cour d’appel de Versailles(10) rappelle que “l’article 14 [de la loi du 6 juillet 1989] est inutile lorsque le conjoint bénéficie lui-même d’un titre locatif qui rend indifférent à son égard le décès du preneur”. Ainsi, “dès lors que la veuve (…) dispose d’un titre locatif personnel”, la nouvelle concubine “est mal fondée à solliciter le transfert à son profit du bail (…) sur le fondement de l’article 14 de la loi du 6 juillet 1989, la cotitularité du conjoint écartant l’article 14 et tout concours avec les bénéficiaires qui en revendiquent l’application”. Peu importe donc que l’épouse ait quitté le domicile conjugal depuis plusieurs années, elle reste cotitulaire du bail.
Exceptions pour le travailleur handicapé
La Cour de cassation(11) considère que dans le cadre d’un transfert de bail, le travailleur handicapé au sens de l’article L.5213-1 du Code du travail(12) bénéficie de l’exception prévue à l’article 40 de la loi du 6 juillet 1989 en faveur des personnes présentant un handicap au sens de l’article L.114 du Code de l’action sociale et des familles(13).
Ainsi, le fils de la locataire décédée qui vivait avec elle depuis au moins un an avant son décès est dispensé du respect des conditions de ressources et d’adaptation du logement à la taille du ménage car il bénéficie de la qualité de travailleur handicapé au sens du Code du travail.
Pas d’obligation de relogement lorsque la taille du logement est inadéquate
L’article 40 de la loi du 6 juillet 1989 conditionne le transfert de bail à l’adaptation du logement à la taille du ménage du bénéficiaire du transfert. Dans une affaire, le logement était composé de six pièces et l’intéressé vivait seul. Le fils du locataire décédé reprochait au bailleur de ne pas lui avoir adressé de proposition de relogement dans un logement adapté conformément aux dispositions de l’article L.442-3-1 du CCH.
Cet article dispose qu’en cas de sous-occupation d’un logement social, le bailleur doit proposer au locataire un nouveau logement correspondant à ses besoins. La Cour de cassation(14) rappelle que ce dispositif “ne s’applique qu’aux rapports entre l’organisme Hlm et le locataire” et qu’en l’occurrence, le fils n’avait pas la qualité de locataire.
On notera ainsi que si l’article 40 (I) précise que “lorsque le bénéficiaire du transfert est un descendant remplissant les conditions de ressources mais pour lequel le logement est inadapté à la taille du ménage, l’organisme bailleur peut proposer un relogement dans un logement plus petit pour lequel l’intéressé est prioritaire”. Il ne s’agit en aucun cas d’une obligation pour l’organisme Hlm.
Un enfant mineur peut bénéficier d’un transfert de bail
L’article 14 de la loi du 6 juillet 1989 liste les personnes qui peuvent bénéficier d’un transfert de bail. Y figurent notamment les descendants, à condition d’avoir vécu avec le locataire décédé au moins un an avant son décès, que le logement soit adapté à la taille du ménage et que le bénéficiaire respecte les conditions d’attribution d’un logement social (ressources et séjour régulier et permanent sur le territoire).
En l’espèce, un enfant mineur vivait avec sa mère, décédée. Son représentant légal, qui est son père, revendique le transfert du bail en sa qualité de représentant légal de son fils mineur.
La Cour d’appel de Versailles(15) rappelle que “s’agissant des descendants, la loi ne distingue pas selon que les enfants sont légitimes, adoptifs(16) ou naturels, majeurs, ou mineurs”, de ce fait, “le transfert du bail au profit de l’enfant mineur de la locataire décédée doit être constaté en application de l’article 14 de la loi du 6 juillet 1989”. Ainsi, dès lors que le père est le représentant légal de son fils mineur, il vient de ce fait aux droits de ce dernier et il est bien fondé à bénéficier, ès-qualités, de ce transfert de bail.
(1) Loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modifi- cation de la loi n°86-1290 du 23 décembre 1986.
(2) Cass. 3e civ., 16 mai 2006, n°05-13.910.
(3) Cass. 3e civ., 28 septembre 2022, n°21-11.533.
(4) Cour d’appel de Paris, Pôle 4 - chambre 4, 12 janvier 2021, n°19/07296.
(5) Cass. 3e civ., 10 avril 2013, n°12-13.225.
(6) CA Paris, 29 septembre 2022 - n°20/03215.
(7) Arrêté du 29 juillet 1987 relatif aux plafonds de ressources des bénéficiaires de la législation sur les habitations à loyer modéré et des nouvelles aides de l’État en secteur locatif.
(8) Cass. 3e civ, 31 mai 2006, n°04-16.920.
(9) Article 1751, Code civil.
(10) CA Versailles, 8 novembre 2022, n°21/05493.
(11) Cass. 3e civ, 12 décembre 2019, n°18-13.476.
(12) “Est considérée comme travailleur handicapé toute personne dont les possibilités d’obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite de l’altération d’une ou plusieurs fonctions physique, sensorielle, mentale ou psychique”.
(13) “Constitue un handicap toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant”.
(14) Cass. 3e civ, 20 décembre 2018, n°18-10.124.
(15) CA Versailles, 4 octobre 2022, n°21/00886.
(16) Cass. 3e civ, 4 février 1998, n°096-10.280.
Thème : Gestion locative - transfert de bail.
Contact : Barbara Fourcade, responsable du département gestion locative, Direction juridique et fiscale - Tél : 01 40 75 78 60 ; Mél : ush-djef@union-habitat.org
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PARU DANS ACTUALITÉS HABITAT N°1183 DU 28 février 2023
Actualités Habitat n°1183
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