Date de publication :
21 juillet 2014
Habitat participatif, de l'utopie à la réalité
L'habitat participatif a pris ses lettres de noblesse avec la loi Alur, qui reconnaît ce mode de production comme une troisième voie alternative, entre promotion immobilière et logement social. Focus sur ces projets portant des valeurs de mixité et de solidarité.
Erigée en injonction par les pouvoirs publics, la participation des habitants ou capacité d'agir, s'illustre dans les expériences d'habitat participatif, démontrant que le citoyen peut être acteur, voire prescripteur, de son cadre de vie. Elles reposent sur une implication collective dans la conception et la gestion d'un programme d'habitat, dans lequel chacun va disposer de son logement et bénéficier d'espaces mutualisés et partagés. Un choix que font des citoyens animés par le désir de "vivre autrement", autour de valeurs communes : mixité, solidarité, écologie, démocratie...
Le phénomène n'est pas nouveau. Des coopératives d'habitants existent depuis longtemps en Suisse, au Québec (où on en dénombre plus de mille) et en Europe du nord avec des quartiers entiers coproduits et autogérés sur le modèle de Fribourg en Allemagne.
En France, il est l'héritage du mouvement coopératif Hlm, des Castors dans l'entre-deux guerres et des opérations expérimentales d'habitat groupé autogéré réalisées dans les années 1970/1980, pour certaines avec des organismes Hlm.
Un florilège d'initiatives
Après avoir périclité au fil du temps, l'habitat participatif a connu un regain d'intérêt depuis les années 2000. Le terme est apparu seulement en 2010, après que le sujet a envahi le Net. "Les projets foisonnent, à l'initiative d'habitants recherchant une alternative à la promotion privée et l'habitat social, dans un contexte de crise immobilière caractérisée par la rareté du foncier et l'inefficience relative des voies traditionnelles d'accès au logement. Ils sont également motivés par le désir de retrouver des liens sociaux et de voisinage, dans la mouvance de l'habitat intergénérationnel et partagé[i]. Enfin, ils comportent une dimension environnementale dans une perspective de développement durable", explique Sarah Trudelle, vice-présidente de l'association Habicoop.
Il existe une grande diversité de montages opérationnels envisageables pour réaliser un projet d'habitat participatif : l'autopromotion par les futurs habitants ; le recours à un promoteur social ou privé ; l'habitat coopératif et anti-spéculatif, dont le montage est aujourd'hui facilité par la reconnaissance du statut de la coopérative d'habitants qui avait été supprimé en 1971.
Mais passer du rêve à la réalité est périlleux. Sur quelque 400 initiatives recensées en France, seulement 70 projets sont sortis de terre, parce que ces opérations complexes se heurtent à de nombreux obstacles, comme l'investissement en temps qu'elles exigent, la cohésion du groupe d'habitants, la recherche d'un terrain, le montage juridique, la volonté politique, le financement, la construction…
Des associations militantes de la première heure, comme Habicoop ou Ecohabitat Groupé, accompagnent les habitants dans la traduction des besoins et des attentes. Progressivement, l'accompagnement s'est structuré, avec la constitution d'un réseau national des acteurs professionnels de l'habitat participatif (RAHP) réunissant des structures spécialisées dans la conduite de projet. En jouant le rôle de facilitateur et de coordinateur entre groupes d'habitants et leurs partenaires (collectivités, aménageurs, bailleurs, financeurs, etc), les acteurs de l'habitat participatif mettent en place les conditions de la démocratie participative, ouvrant ainsi cette voie aux plus modestes, susceptibles d'accéder à la propriété.
Les Hlm, partenaires des habitants
Devant l'intérêt de la formule, notamment en termes de mixité et d'intégration urbaine, les collectivités locales leur ont emboîté le pas. Sous l'égide de quelques villes comme Strasbourg, Montreuil, Nantes et Grenoble, un réseau national de coopération d'une vingtaine de collectivités s'est créé, doté d'une charte d'orientation[ii] visant à faire de l'habitat participatif une composante des politiques publiques. Leur soutien se manifeste par l'inscription dans les documents d'urbanisme, l'octroi de financements, le foncier, l'ingénierie ou le lancement d'appels à projets, comme celui de Paris, au mois de mai, qui a reçu près de 400 candidatures.
Sollicités par les groupes d'habitants ou par les villes, les organismes Hlm s'impliquent via le portage de projets, la prestation de services et la maîtrise d'ouvrage. Ils interviennent du stade de la coproduction jusqu'à la construction, comme en témoignent les opérations menées avec Pluralis, Rhône Saône Habitat, Promologis, Axanis et Lille Métropole Habitat. "Les projets les plus significatifs sont ceux dans lesquels un bailleur social est partie prenante, l'autopromotion pure restant une exception. Outre leur savoir-faire de maître d'ouvrage et leur rôle dans la sécurisation, les organismes Hlm permettent d'introduire une mixité des statuts d'occupation, qui est source de pérennité et de diversité, avec la promesse d'une gestion facilitée par la bonne appropriation des lieux", précise Stefan Seiger, membre de l'association Toit de Choix et du comité de pilotage du réseau RAHP.
Avec l'adoption de la loi pour l'Accès au logement et un urbanisme rénové (Alur), en mars 2014, le législateur consacre ce mode de production. Comme l'écrivait Camille Devaux, auteur d'une thèse sur le sujet[iii] : "Si la participation des habitants dans le champ du logement n'est pas nouvelle, cette initiative habitante qu'est l'habitat participatif a émergé dans le champ de l'action publique pour y être à présent intégrée (…)." Innovation sociale, dans une perspective de changement de société, l'habitat participatif devrait maintenant sortir du "bricolage" et de la marginalité par le jeu des acteurs et les pratiques, pour changer d'échelle et développer un modèle qui promeut le vivre-ensemble et l'habitat durable. La nouvelle place dévolue à l'habitant serait-elle les prémisses d'une reconfiguration des rôles dans le processus de production et de fabrication de la ville ?
Cet article est extrait du dossier central du n°994 d'Actualités habitat, consacré à l'habitat participatif.
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[i] Journée du Club Habitat social pour la ville, "Habitat participatif, intergénérationnel, copropriétés sociales : des concertations d'un autre type ?", mars 2014.
[ii] Les collectivités signataires en 2010 : Rennes, Toulouse, Strasbourg, Lille, Paris, Montreuil, Grenoble, Besançon, Saint-Denis et Bordeaux, les communautés urbaines du Grand Lyon, Grand Toulouse et d'Arras et les régions Île-de-France et Rhône-Alpes.
[iii] Camille Devaux, auteur d'une thèse à l'Université de Paris Est Créteil, réalisée sous la direction de Jean-Claude Driant, "L'habitat participatif : de l'émergence d'une initiative habitante à son intégration dans l'action publique", 2013.