Actualités Habitat : Vous représentez désormais la famille Hlm dans sa diversité, quelles sont les valeurs que vous porterez au nom de tous ?
Emmanuelle Cosse : Les valeurs que je porterai pendant mon mandat sont déjà largement partagées par le Mouvement Hlm, mais je veux les affirmer plus encore. Je crois d’abord à la notion d’intérêt général. Transposée au logement, cette notion d’intérêt général est lourde de sens et de responsabilités pour un Mouvement comme le nôtre. En premier lieu, l’impérieuse nécessité d’avoir sur tout le territoire des logements abordables, autrement dit une offre qui réponde à la diversité des besoins des locataires et des demandeurs de logements sociaux. Le logement cher, en France, ne doit être ni un horizon, ni une fatalité pour les familles aux revenus modestes.
Je suis par ailleurs profondément républicaine. Le logement social est un outil de la République et, en tant que tel, il doit se donner pour ambition de faire face, à la place qui est la sienne, aux difficultés engendrées par la relégation d’une part croissante de la population. Nous portons une part de la promesse républicaine, celle de l’égalité des chances. Dans la période que nous traversons, marquée par des bouleversements impensés il y a encore un an, et dans le contexte d’une transition écologique devenue plus qu’urgente, le logement social doit assumer ses missions, mais sans oublier qu’elles répondent à une certaine vision de la société française. Nous sommes toutes et tous, dans notre diversité politique, générationnelle, professionnelle, des militants du logement social, et cette cause nous oblige.
Votre question faisait référence à la diversité de la “famille Hlm”. À ce titre, j’aimerais avoir quelques mots pour Jean-Louis Dumont qui, pendant huit ans, a présidé l’Union sociale pour l’habitat. Il a su, dans une période difficile, incarner et préserver cette force qu’est la confédération, tout en faisant vivre cette notion de militance sans laquelle le Mouvement Hlm ne serait pas ce qu’il est, c’est-à-dire à la fois une organisation professionnelle et l’incarnation d’une volonté à prendre part aux enjeux sociaux. Cet héritage militant qu’a su incarner Jean-Louis Dumont, charge à nous de le faire évoluer pour reprendre ce “coup d’avance’’ social, architectural, technique qui a été si longtemps constitutif de l’histoire du logement social.
Vous avez été ministre du Logement. Quelle posture comptez-vous adopter avec le gouvernement actuel ?
Je suis aujourd’hui présidente de l’USH et mon rôle est de défendre le point de vue des organismes Hlm, des locataires et des demandeurs de logements sociaux. Je serai vigilante à l’égard du gouvernement. Nous ne pouvons pas faire table rase des trois années passées, qui ont été marquées par des attaques sans précédent et, je dois le dire aussi, parfois et trop souvent, par un manque de respect et de considération pour notre secteur. Mais je crois aussi qu’il est de notre responsabilité de faire des propositions aux différents ministères avec lesquels nous interagissons. Un Mouvement qui ne produit pas d’idées et qui n’innove pas se place d’emblée, dans le monde d’aujourd’hui, dans une situation d’infériorité. Le monde du logement social a longtemps vécu une forme de consanguinité avec l’État, et ça a été, avec le sens de sa mission, sa force. Aujourd’hui, la donne a changé et si l’on veut être respecté, il faut d’abord avoir des idées et les défendre. Le respect n’est pas un dû, il se construit. Je vois aussi que, depuis plusieurs mois, le dialogue a repris avec le ministère du Logement. Ce dialogue doit être constant. Je l’animerai avec responsabilité et vigilance, instruite du passé récent.
Vous débutez votre mandat en pleine crise sanitaire doublée d’une crise sociale. Quel rôle tiendront l’USH et les organismes durant cette période ?
Dans les périodes de difficultés sociales, économiques, les organismes Hlm répondent toujours présents. Ils l’ont montré lors du premier confinement auprès de leurs locataires les plus isolés ou les plus en difficulté. Je crois, avec le court recul qui est le nôtre aujourd’hui, que les salarié(e)s des organismes ont trouvé là, dans cette difficulté nationale, une forme d’expression utile et très concrète de leur engagement professionnel. Mais la crise n’est pas finie, et elle va au contraire accroître les fragilités de notre société. Dans ce que j’appellerais cette "urgence de long terme", il nous faut continuer d’accompagner les locataires en difficulté, tout en gardant constamment à l’esprit que plus de deux millions de ménages aux revenus modestes sont en attente d’un logement social. Nous devons faire de ce chiffre de la demande de logements sociaux la boussole de notre action. À très court terme, je souhaite que nous parvenions à tenir, d’ici la fin de l’année, nos objectifs de production, notamment dans le très social, et de rénovation. Les collectivités territoriales doivent être naturellement partenaires de cette ambition. Aucun responsable politique, national ou local, ne peut ou ne doit ignorer la demande d’un logement abordable qui émane d’une partie toujours plus nombreuse de la population, qu’il s’agisse de locataires ou d’accédants à la propriété.
"Le logement cher en France ne doit être ni un horizon ni une fatalité".
Le gouvernement demande de plus en plus au Mouvement Hlm, à la fois de contribuer à la mixité sociale des quartiers et à accueillir davantage de ménages pauvres. Comment dépasser cette contradiction ? Faudrait-il choisir entre un des deux enjeux ?
Il n’y a pas lieu de poser la question sous la forme d’un choix. Nous ne devons et nous ne pouvons pas choisir. À chacun de ces enjeux correspondent une réalité, une complexité propre mais également des solutions, ce n’est pas en opposant la nécessaire mixité sociale des quartiers et l’accueil - tout aussi nécessaire - de ménages pauvres dans le parc social, que nous remplirons notre mission.
Nous devons continuer à encourager la rénovation urbaine portée par l’Anru, à défendre la loi SRU, à rééquilibrer les politiques de peuplement, à repenser, en lien avec l’État et les collectivités, nos politiques d’attributions avec l’objectif d’une plus grande mixité. Mais nous devons aussi et dans le même temps accueillir davantage de ménages très modestes, encourager les politiques de “Logement d’abord’’, trouver des réponses rapides, concrètes, aux situations de mal logement.
La question des personnes logées dans nos organismes ne se résume d’ailleurs pas à l’accueil de ménages pauvres ou à la recherche d’une plus grande mixité. Le logement des jeunes est en soi un enjeu, lorsque l’on voit la difficulté d’accès au logement de cette population en partie fragilisée par le chômage, la précarité ou plus simplement le manque de logements disponibles, sans même présager de l’impact qu’aura certainement la crise actuelle et ses suites. Et dans le même temps, compte tenu de l’évolution de la population logée dans nos organismes, la question de l’accompagnement du vieillissement est un sujet de préoccupation majeure sur lequel nous avons des convergences d’analyse et surtout d’actions à mettre en œuvre et à développer. C’est la force et la mission du Mouvement Hlm que d’être, avec ses partenaires, en situation de pouvoir faire avancer l’ensemble de ces sujets.
Et doit-on choisir entre construire plus de logements abordables et limiter l’artificialisation des sols ?
Là encore, je ne suis pas d’accord avec cette présentation. Nous ne devons pas opposer la construction de logements abordables et la nécessité de lutter contre l’artificialisation des sols. Nous devons être capables, collectivement, de concilier les deux. Il ne faut pas sanctuariser les zones urbaines, mais les faire évoluer. Moi qui suis écologiste, je crains toujours que l’argument de l’artificialisation soit le nouvel obstacle pour accueillir du logement social. Ça ne peut pas être un moyen d’éviter la question que nous posent deux millions de demandeurs de logements sociaux. J’assume qu’il faille construire, densifier là où c’est souhaitable, et il faut aussi assumer de ramener la nature dans des espaces urbains ou commerciaux.
Cela va nécessiter des partenariats plus étroits avec les collectivités locales, notamment dans le cadre de l’élaboration des PLU. J’entends le débat sur la nécessité de lutter contre l’artificialisation des sols. C’est une nécessité. Mais il serait trop facile d’incriminer le logement social. Interrogeons-nous d’abord sur les grands espaces commerciaux, sur les mètres carrés de bureau, sur certaines autres infrastructures, au lieu de s’attaquer au logement des personnes. Si, collectivement, nous ajoutons aux difficultés économiques et sociales que nous vivons déjà et qui vont s’amplifier une incapacité à satisfaire les besoins de la population, nous irons dans le mur. Or, mon objectif, c’est de réussir cette grande politique publique qu’est le logement social.
Propos recueillis par Actualités Habitat