L'Union sociale pour l'habitat
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Interview d'Emmanuelle Cosse : "Le sujet du logement ne sera pas l'angle mort de cette campagne électorale" AH

Les 95 propositions du Mouvement Hlm dans le cadre des élections 2022 ont été rendues publiques le 10 février lors d’une conférence de presse. La présidente de l’USH revient pour Actualités Habitat sur l’élaboration de ce projet mené en co-construction, les ambitions politiques et professionnelles qu’il porte, au-delà de la perspective du 9 mars, date à laquelle l’USH et ses partenaires auditionneront les candidates et candidats républicains à l’élection présidentielle.

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Quel regard portez-vous sur l’élaboration des propositions du Mouvement Hlm ?

Je souhaiterais tout d’abord remercier l’ensemble des organismes, des Fédérations, des commissions de l’Union, des Associations régionales et des équipes de l’USH qui se sont mobilisés pour construire, ensemble, ce projet. J’ai pu mesurer, au travers de ces douze réunions régionales et de celle dédiée au Conseil social de l’USH - et donc à nos grands partenaires - combien l’idée de co-construire un projet collectif intéressait notre communauté professionnelle et combien, dans leurs différences de statuts, de tailles, de territoires, les organismes Hlm portaient des problématiques communes. Cette unité crée à la fois une fierté et une responsabilité, celle d’être en capacité de porter ce projet collectif dans les semaines et les mois qui viennent.

Comment qualifiez-vous ce projet ? Certains le disent trop technique…

Ce projet, il est à la fois professionnel et politique. Professionnel parce que, et j’y reviendrai, nous avons abordé l’ensemble des problématiques auxquelles les professionnels du secteur sont confrontés dans leur quotidien. Politique parce que, et il n’y a pas lieu de s’en offusquer ou de s’en méfier, nos sujets sont par nature politiques, au sens où ils concernent la manière dont la vie de nos concitoyennes et de nos concitoyens est - et va être - organisée dans l’avenir. Qui plus est, nous intervenons dans un contexte électoral qui impose ses propres codes, et notamment celui d’avoir une expression publique structurée, appréhendable par d’autres publics que des publics experts.

 

“Ce projet collectif est à la fois professionnel et politique”

 

Il reste que notre propos et nos propositions sont d’abord l’expression de la défense et de la promotion d’une cause, celle du logement pour tous. Ils ne sont donc pas partisans, même s’ils portent une certaine vision de la société.

Ce projet, nous l’avons élaboré dans un contexte particulier, exceptionnel, qui est un temps démocratique et électoral. Mais il s’agit aussi d’un projet qui va aider l’Union à structurer son action professionnelle pour les années à venir. Il y a, parmi les 95 propositions formalisées, des chantiers de travail qui ont des implications techniques, organisationnelles, juridiques, qui seront renforcés par une documentation statistique, qui touchent les ressources humaines, la communication et, bien entendu, qui interrogent de nombreux aspects financiers. C’est donc un projet dans lequel le Mouvement Hlm affiche sa volonté d’être utile à notre société.

Dans le détail, quelles sont les propositions que vous souhaiteriez mettre en avant ?

Elles empruntent naturellement, et c’est toute la force de notre projet, à différents registres. Je ne voudrais pas introduire l’idée d’une hiérarchie qui n’a pas lieu d’être. Il y a néanmoins quelques propositions ou thèmes de propositions que je tiens à souligner.

En premier lieu, plusieurs propositions ont trait à la relance de la production, qu’il s’agisse de logements locatifs ou en accession sociale à la propriété. Nous avons aujourd’hui plus de deux millions de familles qui sont en demande d’un logement social, et notre première mission, c’est de répondre à cette demande sociale qui témoigne de l’état de fragilité et de précarisation de la société française contemporaine.

Cela implique l’abandon de la RLS, le rétablissement d’un taux de TV réduit à 5,5% sur l’ensemble de la production Hlm, et bien entendu, la pérennisation de notre système de financement, fondé à la fois sur l’épargne populaire et sur la participation des employeurs à l’effort de construction. Comme nous l’avions démontré lors du congrès de Paris, le “modèle français du logement social”, pour être fort et durable, ne doit pas être livré à un modèle court-termiste de financiarisation. La crise que connaît aujourd’hui le secteur de l’énergie doit nous instruire de ces risques.

 

“Notre modèle français ne doit pas être livré à un modèle court-termiste de financiarisation.”

 

J’ai été par ailleurs frappée, ces derniers mois, de voir la question de l’accès au foncier redevenir un sujet politique et stratégique. Et, sans un État déterminé à favoriser le logement social sur certains territoires, nous aurons d’infinies difficultés à construire et donc à loger des familles aux revenus modestes.

Enfin la loi SRU, parce qu’elle est à la fois un moteur de production et un gage d’équilibre des territoires, doit être renforcée. Plus largement, cette question de l’acceptation du logement social pose celle du portage politique du sujet au plus haut niveau de l’État. Nous avons besoin non seulement d’un État fort sur le sujet, mais aussi d’un État volontaire, stratège, cohérent et engagé en faveur du logement pour tous.

D’autres sujets sont mis en avant, notamment en lien avec le dérèglement climatique…

Nous devrons rénover largement plus d’un million de logements d’ici 2034 pour satisfaire l’objectif fixé par la loi Climat et Résilience. L’équation est donc simple, mais c’est en fait un sujet technique, financier et logistique pour lequel nous sommes encore en attente de réponses précises. Nous avons besoin de connaître très rapidement les possibilités techniques qui s’offrent à nous pour rénover massivement et durablement les logements concernés, tout en trouvant une alternative au 100% gaz, qui est l’énergie la plus répandue dans notre parc. C’est un défi colossal, mais qui offre des opportunités formidables pour l’ensemble de la chaîne économique.

Mais nous faisons également de nouvelles propositions : par exemple, celle de la “seconde” vie en termes d’usage, de confort, d’énergie, d’isolation thermique et phonique de ces milliers d’immeubles des années 60 à 80 qui composent, aujourd’hui, une partie significative de notre parc. Beaucoup ne sont pas concernés par des opérations de renouvellement urbain mais ils ont besoin de cette mise à niveau pour conserver leur attractivité.

Et concernant les attributions et les locataires ?

Nous assumons aujourd’hui de jouer, en lien avec le secteur associatif, un rôle prépondérant dans la mise en œuvre de la politique du Logement d’abord. Si ce programme progresse aujourd’hui, c’est d’abord dû à l’engagement des organismes Hlm et des associations. Et il faut aujourd’hui continuer à produire ce logement très accessible et accompagné, sans tomber bien sûr vers la spécialisation du parc que d’aucuns nous promettent.

À l’autre bout de la chaîne, nous avons, à l’inverse, un problème d’attractivité des PLS qui a été identifié dans plusieurs territoires. Nous devons sans doute adapter ce produit à la réalité d’usage et de consommation des publics visés. Il faut simplifier les règles d’attributions, assouplir les règles administratives qui finalement aboutissent à détourner certains locataires potentiels de cette offre.

Enfin, je terminerai ce rapide tour d’horizon par la question des quartiers, singulièrement absente du discours électoral, à l’exception des propos discriminants tenus par certains. L’État ne peut pas continuer à laisser les bailleurs en situation d’être les derniers services publics présents. Jean-Louis Borloo avait fourni une analyse et présenté des solutions qui ont été balayées d’un revers de main(1) mais la réalité, c’est que les problèmes identifiés n’ont pas trouvé de réponses ces dernières années. Oui, nous assumons qu’il faut plus de sécurité, y compris pour nos agents, nous assumons de dire que le secteur associatif doit être soutenu, que les emplois aidés sont nécessaires à la vie sociale et économique des quartiers, que l’État doit imposer un retour des infrastructures de transport, de santé, d’éducation dans les quartiers qui sont victimes d’une ségrégation de fait. J’entends beaucoup parler d’égalité “réelle”, j’aimerais surtout qu’elle devienne réalité dans tous les quartiers.

Vous avez assisté à la journée d’audition des candidates et des candidats organisée par la Fondation Abbé Pierre le 2 février dernier. Qu’en avez-vous retenu ?

On a beaucoup regretté, dans ce début de campagne, la place occupée par les questions d’identité et de sécurité et, au fond, cette manifestation organisée par la Fondation Abbé Pierre aura contribué à faire comprendre à celles et ceux qui font vivre le débat public, journalistes compris, que d’autres sujets méritent leur place dans le débat d’idées. Mais il y a encore du chemin. Pour illustrer très concrètement mon propos, je dirai qu’il est très bien que le service Communication de l’USH soit régulièrement sollicité par les médias, mais j’aimerais qu’il ne le soit pas pour répondre sur la part des étrangers qui vivent dans le logement social, mais pour nous permettre d’évoquer les problématiques associées au logement. Pourquoi un logement si cher ? Comment concilier l’impératif de construction et la préservation de l’environnement et de la biodiversité ? Comment rapprocher le lieu de travail du domicile ? Comment, collectivement, adapter notre stratégie en matière d’énergie dans le contexte que nous connaissons ? Les sujets ne manquent pas.

 

“Le logement, par ses connexions avec le pouvoir d’achat, la transition environnementale, le pacte républicain a toute sa place dans le débat public.”

 

Je suis absolument déterminée à faire émerger ce sujet du logement dans la campagne, et je note d’ailleurs que les choses évoluent dans le bon sens, nous allons vers un rééquilibrage des sujets. Et le logement, par ses connexions avec le pouvoir d’achat, la transition environnementale, le pacte républicain a naturellement toute sa place dans un débat public de qualité.

Le président de la République s’est lui-même exprimé sur le sujet lors de la journée organisée par la FAP. Qu’en avez-vous pensé ?

Ce temps de la campagne est aussi celui où l’on voit s’esquisser les idées structurantes, à défaut des programmes. Le chef de l’État a assumé ses choix en matière de politique du logement, et chacun aura compris que nous ne partageons pas le bilan. Je n’arrive pas très bien à comprendre comment on peut affirmer que le secteur du logement social a été renforcé dans ses capacités d’investissement alors même que l’État a économisé 15 milliards d’euros depuis 2017 sur la politique du logement social. Plus exactement, je perçois que l’on voudrait nous faire croire que remplacer des fonds propres par de la dette est un signe de dynamisme financier et économique. J’aurais plutôt tendance à assimiler cela à une fuite en avant, qui renvoie à l’avenir la gestion des décisions d’aujourd’hui.

 

On voudrait nous faire croire que remplacer des fonds propres par de la dette est un signe de dynamisme financier et économique.

 

Mais il a aussi présenté les grandes lignes de sa future politique : s’il a souligné la nécessité de construire, il a aussi défendu la poursuite de ce qu’il appelle la consolidation du secteur, et la mise en place d’un revenu universel d’activité intégrant, sous une forme aménagée mais qui reste à définir, les APL au même titre que des prestations sociales de nature radicalement différente, et le développement du logement intermédiaire. Ce qu’il a dit par ailleurs sur Action Logement ne doit pas manquer de nous alerter. Je le redis avec fermeté, le 1% patronal géré paritairement est un élément de notre modèle, au même titre que le Livret A et notre relation privilégiée à la Caisse des Dépôts.

L’USH avec la FFB, la FAP et des associations d’élus, auditionneront le 9 mars, les candidates et les candidats à l’élection présidentielle, sauf les candidats d’extrême-droite. Pourquoi ?

Nous n’avons, avec nos partenaires, aucune intention d’offrir un espace de visibilité à des idées qui vont à l’encontre de nos principes et de nos métiers. La ségrégation, la stigmatisation, l’exclusion, la violence ne sont pas dans les valeurs du Mouvement Hlm.

Nous avons fait le choix, avec nos partenaires regroupés dans ce que nous avons appelé “l’alliance pour le logement, grande cause nationale du quinquennat”, d’inviter un “arc politique” de candidats compatibles avec nos valeurs mais qui portent des conceptions différentes du logement social. Le sujet du logement ne sera pas l’angle mort de cette campagne électorale.

Propos recueillis par la rédaction.

(1) “Vivre ensemble - Vivre en grand la République”, rapport de Jean-Louis Borloo remis le 26 avril 2018 à Edouard Philippe.

Pour en savoir plus : Présidentielle 2022 - Les Hlm en campagne