L'Union sociale pour l'habitat
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Interview d'une experte de l'USH : "La mise en oeuvre du Dalo est avant tout un enjeu territorial" AH

La Cour des comptes a publié le 26 janvier un rapport sur la mise en œuvre du Droit au logement opposable pointant “l'effort toujours insuffisant des collectivités territoriales et des bailleurs pour participer à l'effort de relogement aux côtés de l’État”. Un constat trop sévère ? Décryptage avec Delphine Baudet-Collinet, responsable du pôle politiques clientèles et sociales, USH.

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Quel regard portez-vous sur la critique de la Cour des comptes?

Le droit au logement opposable a été instauré en mars 2007. Quinze ans après, la Cour des comptes dresse le constat d’un manque d’effectivité du Dalo et propose 13 recommandations. Elle entend réaffirmer la primauté du Dalo sur l’ensemble des autres priorités dans l’accès au logement, simplifier les procédures et recentrer le Dalo pour en garantir le caractère d’ultime recours. Elle pointe aussi les bailleurs sociaux et les réservataires n’atteignant pas les objectifs fixés, mais fait totalement l’impasse sur des éléments fondamentaux qui expliquent les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du Dalo, en particulier le déficit d’offre de logements sociaux dans les zones les plus tendues.

 

“Les ménages reconnus Dalo ont un profil proche de l’ensemble des demandeurs de logement social.”

 

Les ménages reconnus Dalo ont un profil relativement proche de l’ensemble des demandeurs de logement social: situation face à l’emploi, âge, composition familiale… Ils se distinguent par deux éléments : d’abord, assez logiquement, par l’ancienneté de la demande, qui constitue un motif de recours au titre du Dalo, mais aussi par la sur-représentation de ces demandes en Île-de-France et dans une moindre proportion en PACA. La mise en œuvre du Dalo est avant tout un enjeu territorial, de secteurs soumis à une forte pression engendrant d’importantes difficultés d’accès au logement. Les secteurs les plus tendus, en Île-de-France, PACA, mais aussi en Outre-Mer, sont particulièrement concernés.

L’insuffisance de l’offre de logements sociaux dans les zones tendues explique-t-elle tout?

Dans un système fluide d’accès au logement, le droit au logement serait effectif sans avoir recours à l’État. Il faut bien voir que, dans l’esprit du législateur, le dispositif Dalo est un ultime recours : lorsque les dispositifs de droit commun d’accès au logement n’ont pas permis au ménage un relogement. Mais aujourd’hui, les attributions de logements locatifs sociaux, à elles seules, ne peuvent permettre d’assurer une réponse satisfaisante face à l’ampleur et la diversité des besoins dans certains territoires, en particulier en Île-de-France. C’est pourquoi, la réponse repose avant tout sur la production d’une offre variée, diversifiée, notamment en offre locative sociale à faible quittance.

Au 31 décembre 2020, 2,2 millions de ménages demandeurs étaient en attente d’un logement social et un tiers de ces demandes provenaient de l’Île-de-France. Ce volume a crû de 20% depuis 2013. Pour cette même période, l’ancienneté des demandes a augmenté de près de deux mois, et fin 2020, 10% des demandes émanaient de demandeurs disposant d’une demande active depuis près de cinq ans. Trois ménages demandeurs sur quatre disposent de ressources inférieures aux plafonds PLAI.

En parallèle, depuis 2015, le rythme de production de logements a diminué avec, en conséquence, une baisse du nombre annuel d’emménagements dans le parc social. En Île-de-France, la baisse continue de la production, entamée en 2017, vient d’atteindre en 2020 son plus bas niveau depuis 14 ans ! Avec pour conséquence directe, une diminution du volume d’attributions et un renforcement des difficultés d’accès au parc.

Comment s’applique le Dalo en Île-de-France?

L’Île-de-France enregistre plus de 60% des demandes de reconnaissance au titre du Dalo entre 2008 et 2020. Il s’agit également de la région où les délais de relogement sont les plus élevés. Elle enregistre un volume de plus de 10 demandes pour une attribution. Elle concentre plus des trois quarts des ménages reconnus prioritaires au titre du Dalo et en attente d’un relogement en 2020.

La mise en œuvre effective du Dalo se heurte à de plus en plus de difficultés. D’une part, compte tenu d’une forte tension du marché, accrue dans un contexte de baisse de la rotation dans le parc existant et de diminution de la production. D’autre part, en raison de l’importance des besoins liés à la fois aux nouvelles demandes, aux mutations, mais également aux besoins de relogement dans le cadre d’opérations complexes : Anru, renouvellement urbain hors Anru, ORCOD, mais aussi grands travaux type Grand Paris Express…

 

“En Île-de-France, la part de ménages Dalo, parmi les attributions, est passée de 10,5% en 2013 à 19% en 2020.”

 

Dans ce contexte, les organismes franciliens contribuent activement à la mise en œuvre du Dalo et sont également mobilisés au titre du Logement d’abord. La part de ménages Dalo parmi les attributions est passée de 10,5% en 2013 à 19% en 2020 (chiffres précisés par l’AORIF - l’Union sociale pour l’habitat d’Île-de-France - dans son dernier communiqué de presse). En 2020, 3 704 attributions ont été faites à des ménages sortant d’hébergement, ce qui correspond au taux le plus élevé en France. À cela s’ajoutent 1 977 attributions réalisées à des ménages sans abri.

Comment les bailleurs sociaux vivent-ils la “concurrence” entre publics prioritaires?

La primauté du Dalo est conférée par la loi. Les ménages reconnus prioritaires doivent être relogés, l’État en est garant. Dans les dispositifs d’accès au logement, cette primauté du Dalo vient effectivement se heurter à une multiplication de priorités et d’injonctions faites aux organismes Hlm et réservataires en matière d’attribution.

Le Code de la construction fixe 13 critères de priorité pour l’accès au logement social. Outre ces priorités, les organismes sont sollicités dans le cadre de plusieurs dispositifs. Le plan Logement d’abord fixe des objectifs d’accès au logement de ménages sans-abri, sortants d’hébergement, publics qui du fait de leurs situations de logement pourraient être reconnus prioritaires au titre du Dalo. Les organismes sont aussi sollicités par les préfets pour apporter des réponses aux ménages menacés d’expulsion. Ils sont également tenus de reloger les ménages concernés par des opérations Anru, ORCOD ou de résorption de l’habitat indigne. Chaque dispositif peut conduire à une approche en “silo”, par catégorie de public. Dans ce contexte, les injonctions sont multiples et parfois difficiles à concilier. Les CALEOL se retrouvent dans la situation de devoir départager des candidatures présentant toutes un caractère d’urgence ou de priorité.

Parmi les autres difficultés rencontrées, on peut aussi pointer l’enjeu d’une fiabilisation des demandes et des informations contenues dans les différents outils de gestion. Cette fiabilisation ne peut se faire qu’en mettant en place un suivi individualisé des ménages reconnus prioritaires au titre du Dalo.

Quel est le rôle des intercommunalités ? Comment s’articule-t-il avec celui des organismes Hlm?

Depuis la loi ALUR, les intercommunalités sont chefs de file en matière de gestion de la demande et des attributions. Elles sont chargées de définir une stratégie intercommunale, retranscrite dans les conventions intercommunales d’attribution. Or, si l’État est garant de la mise en œuvre du Dalo, les situations territoriales sont hétérogènes et il est fondamental de mieux intégrer la mise en œuvre du droit au logement aux politiques intercommunales d’attribution. C’est également au niveau des EPCI que se définissent les systèmes de cotation de la demande, que s’établissent des objectifs d’attribution territorialisés pour tenir compte des enjeux d’équilibre social, que s’organisent les services d’accueil et d’information des demandeurs, les modalités de gestion partagée des demandes et notamment des demandes prioritaires.

On constate que les dispositifs mis en place par les acteurs locaux peuvent avoir une incidence sur le traitement de la demande prioritaire et la prise en compte de ces publics. Ainsi, pour les territoires de mise en œuvre accélérée du Logement d’abord, le principe repose sur un traitement des situations en amont d’un éventuel recours Dalo avec l’organisation d’instances dédiées pour traiter les demandes prioritaires de façon partenariale.

Les dernières réformes ont renforcé le rôle des intercommunalités, mais on observe également une mise en responsabilité accrue des organismes Hlm dans la mise en œuvre, le suivi et le rendu compte concernant l’atteinte des objectifs d’attribution. La mise en œuvre prochaine des dispositifs de cotation de la demande et de gestion en flux constituera une étape importante. Mais c’est avant tout une accélération du rythme de production qui permettra d’apporter des solutions durables.

Propos recueillis par V.L.

 

Pour en savoir plus : Fluidifier les sorties d’hébergement et l’accès au parc social : analyse des fonctionnements existants et propositions d’amélioration

 

Chiffres-clés

Entre 2008 et 2020, plus d’1 million de demandes de reconnaissance ont été déposées au titre du Dalo, dont près des 2/3 concernent l’Île-de-France; 335 000 demandes ont été reconnues prioritaires Dalo par les commissions de médiation et 210 000 ménages ont été relogés, presque exclusivement dans le parc locatif social. À ce jour, 78 000 ménages sont toujours en attente d’un relogement, soit près d’un quart des requérants.