Date de publication :
30 octobre 2018
Auteur(s) :
DIANE VALRANGES
"L’entreprise" Hlm de demain, ses valeurs, ses missions, ses parties prenantes
Face aux transformations en cours, les organismes Hlm doivent répondre à certains questionnements sur leur positionnement en tant qu’entreprises dotées d’une mission sociale, en prenant appui sur leurs valeurs et leur ancrage territorial et local. Pour réussir, le management se doit d’évoluer afin d’embarquer les collaborateurs et de libérer les initiatives.
Dans un contexte politique et économique en profond bouleversement, plusieurs questionnements surgissent concernant les valeurs portées par le monde Hlm et ses capacités d’évolution. Comment s’adapter à ces mutations? Et comment manager une entreprise Hlm aujourd’hui? Jérôme Barthélémy introduit la discussion par trois recommandations. "La première chose à faire pour une entreprise, pour éviter de disparaître, est de donner un cap, même si on réalise plus tard que ce n’est pas le bon, et d’ajuster au fur et à mesure". Deuxième recommandation, face à cette incertitude, il conseille d’expérimenter en permanence dans toute l’entreprise et, en fonction des résultats, de capitaliser sur les réussites ; et enfin, si l’expérimentation provoque des échecs, de ne pas les stigmatiser, afin de permettre aux collaborateurs de libérer leur créativité. L’organisme Hlm est-il une entreprise comme les autres ?
"On peut ne pas aimer le terme "entreprise", considère Véronique Momal, mais nous sommes quand même des entreprises, des employeurs, nous avons des salariés, des responsabilités. Nous avons déjà fait la preuve, au cours des années passées, que nous sommes capables de nous réformer, de trouver des coopérations entre nous, de travailler différemment sur nos territoires. Le cap que nous avons à tenir est plutôt de s’ancrer sur un espace d’économie sociale et solidaire et une performance citoyenne et sociale. Cela veut dire aussi des modes d’organisation, de management et d’écoute de nos locataires et des collaborateurs plus participatifs".
"Une entreprise, oui, mais pas tout à fait comme les autres, considère Jacques Brénot, d’abord pour la modernité de sa gouvernance, composée des actionnaires principaux, des locataires, des clients, des élus, des syndicats. Les organismes Hlm ont aussi une mission d’intérêt général, qui est inscrite dans les socles des droits sociaux en Europe, le logement abordable". Citant le travail conduit autour de CAP Hlm, le président de l’Institut Hlm de la RSE rappelle les nombreuses réflexions sur les grandes mutations qui ont lieu dans le secteur Hlm. « L’organisme Hlm n’est plus un logeur. Il est un opérateur urbain qui contribue à construire la ville, à répondre aux besoins de la collectivité et de l’État", poursuit-il.
Interrogé sur les valeurs des organismes Hlm, Jean-Baptiste Dolci, évoque "la solidarité et l’humanisme », présents dès la création d’Action Logement. "Nous sommes là pour apporter des services supplémentaires à des salariés qui en ont besoin", souligne-t-il. "En tant qu’office public de l’habitat, nous devons aussi être utiles sur nos territoires", poursuit Karine Lascols. Ainsi, dans son département, l’Yonne, situé en zone détendue, des logements ont été attribués à des internes en médecine et à des pompiers volontaires. Jérôme Barthélémy salue la "vraie raison d’être" des organismes Hlm. "C’est assez facile pour ce secteur, alors que pour une entreprise lambda, c’est parfois difficile d’en trouver une pour motiver ses salariés". Pour Véronique Momal, nul besoin de réaffirmer cette raison d’être. "Je pense que la quasi-totalité des acteurs présents ici se rappellent en permanence leur utilité sociale, qu’ils sont des acteurs importants de fabrication de la ville, de fabrication de cohésion territoriale. On peut venir travailler dans le logement social par hasard, mais quand on y reste c’est qu’on croit vraiment dans le sens de cette mission", poursuit-elle.
Jacques Brénot pense toutefois que la raison d’être du secteur doit être réaffirmée régulièrement : "Un organisme Hlm, c’est une structure qui accompagne les gens. Dernièrement, quand il y eut des migrants d’Érythrée, j’ai entendu des préfets me dire que les bailleurs sociaux leur fermaient la porte. Notre rôle n’est-il pas aussi de loger ces personnes de façon décente ? Il y a parfois des oublis sur le rôle que nous jouons". "Sur la question des valeurs, je pense qu’il y a une ambiguïté structurelle chez les bailleurs sociaux, relève Frédéric Chéreau. Le bailleur doit être rentable et équilibrer ses charges par rapport aux recettes qu’il est capable de dégager. Il y a un impératif économique qui devient parfois majeur". Pour Véronique Momal, équilibre financier et mission sociale ne sont pas incompatibles : "Nous devons maintenir le cap de notre performance sociale tout en équilibrant le résultat. Nous avons besoin de continuer à développer, à entretenir le parc et donc il faut que nous trouvions la manière de rendre les deux compatibles".
L’ancrage territorial du logement social
La chance des bailleurs sociaux, pour le maire de Douai, est qu’ils travaillent sur du long terme, contrairement à une large majorité d’entreprises qui doivent obtenir des résultats rapidement. "En tant qu’élu local, je veux savoir quel sera l’état du patrimoine du territoire dans dix ans, mais en contrepartie, je veux une approche globale : quel parc veut-on demain ? Quels services apporte-t-on aux habitants ? Comment leur parle-t-on de santé, d’emploi ? Comment les organismes travaillent avec les associations du quartier ? J’ai aussi besoin d’une approche globale urbaine : comment vous m’aidez, moi, élu, à reconquérir les centres-villes à refaire la ville ?". Jean-Baptiste Dolci y répond : "Nous sommes fortement impliqués dans le plan Action Cœur de ville, avec d’autres partenaires. Nous allons travailler au niveau des territoires et de ses élus, des besoins, et changer la donne, essayer d’être plus performants, plus rapides, de manière à apporter des solutions innovantes. Pour nous, l’innovation c’est écouter les collectivités et travailler main dans la main avec elles. Au travers de ce questionnement, nous avons une véritable utilité sociale, un vrai modèle social à préserver". Karine Lascols évoque "l’écoute, l’observation, l’échange avec les habitants, avec les élus, les associations, pour avoir une réponse qui soit adaptée et permette d’instiguer une vision. Face aux attentes que peuvent avoir les territoires, il faut aussi créer des réponses positives, au-delà du logement, des services qu’on peut apporter. Ça fait aussi partie de notre ADN".
Frédéric Chéreau insiste sur la notion de territoire, tel qu’elle est perçue par les habitants : "C’est parfois très limité en termes spatial, trois ou quatre rues au sein desquelles il y a tout un maillage de solidarités locales, de relations associatives, personnelles, familiales, qui doivent être prises en compte quand on attribue des logements. Quelquefois, ce territoire est la principale richesse dont les habitants disposent. Cette prise en compte passe par une présence forte des équipes sur le terrain, qu’il faut former et accompagner". Il invite aussi les bailleurs sociaux à "gommer la frontière entre collaborateurs et habitants" et leur propose d’embaucher les habitants des quartiers pour réaliser les petits travaux dans les logements. "Il faut des habitants collaborateurs. Ce sont eux qui, souvent, sont les éléments les plus stabilisants dans un quartier" estime-t-il, au lieu du sous-traitant au deuxième degré, qui n’habite pas sur place et dont les locataires se méfieront. "Si vous faites faire ces petits travaux par quelqu’un du quartier, il y aura un respect du travail réalisé car, ce gars-là, on le croise tous les matins, on le connaît, on sait que ses enfants vont à la même école que les siens".
Jean-Baptiste Dolci insiste sur le fait qu’il faut impliquer les collaborateurs dès le départ quand on lance un projet ou un changement de cap, parce qu’ils sont ceux "qui ont chaque jour en face d’eux les demandeurs de logements qui ont des besoins spécifiques. Il faut au quotidien échanger, faire connaître les valeurs que nous véhiculons". Alors, comment embarquer les collaborateurs dans cet environnement en évolution ? Pour Véronique Momal, "la difficulté est de leur donner un cadre de sécurité. Il faut savoir décoder l’environnement pour eux, leur expliquer ce qui se passe et les écouter pour savoir comment on peut se repositionner, évoluer, libérer les initiatives dans ce contexte. Ils ont des idées, ils ont envie de les partager avec nous et c’est aussi au manager et au décideur d’engager des conversations avec eux pour faire remonter ces idées". Cette démarche impacte le management des Ressources humaines, qui doivent "accompagner ces évolutions et dépasser la question de la simple compétence technique, pour essayer de travailler sur les talents de nos collaborateurs, sur de nouvelles manières de les former, sur le fait d’attirer de nouveaux talents au sein de nos organisations, et de faire évoluer certains métiers en déclin".
"Sur le management des équipes, on a un enjeu de transformation de la culture d’entreprise, reprend Karine Lascols. Le mode de management évolue, on parle de management agile. L’idée c’est d’expérimenter à un petit niveau et, si ça marche, d’instiller les petites victoires dans la structure. Il faut réagir vite et arriver à embarquer nos collaborateurs avec des modes de fonctionnement sur des durées plus courtes. Et pour cela, il faut prendre en compte le bien-être au travail. Les nouvelles générations qui arrivent dans les entreprises, ne veulent pas réussir dans la vie. Elles veulent réussir leur vie. Cela change la donne pour le manager". "L’agilité c’est aussi la prise de décision immédiate, reprend Jacques Brénot. C’est fondamental. J’ai gagné beaucoup de marchés ainsi car je prends des décisions d’investissement plus rapidement que le chef d’une grande entreprise. Il y a une grande proximité entre le dirigeant et les actions à mener". Ancrage sur les territoires, engagement dans la durée, performance économique au service de la performance sociale, conception ouverte et innovante des missions et de l’utilité sociale, dialogue permanent avec les acteurs des territoires et les habitants pour concevoir les réponses : autant de voies pour consolider et construire l’entreprise Hlm de demain. Une plus grande agilité, des organisations plus souples et réactives, un management à l’écoute des collaborateurs, un droit à l’expérimentation et à l’erreur constituent des leviers internes pour embarquer les équipes.
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PARU DANS ACTUALITÉS HABITAT N°1088 DU 30 octobre 2018
Actualités Habitat n°1088
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