Autorisée depuis 1965, la vente de logements locatifs sociaux en France occupe, depuis une dizaine d’années, une place grandissante dans les stratégies patrimoniales des organismes Hlm. Une tendance qui a commencé à s’accélérer en 2007 avec l’accord passé entre l’USH et l’État pour le développement de la vente d’une partie du patrimoine aux occupants afin de favoriser l’accession à la propriété et la mixité sociale dans les quartiers. Ainsi, au début des années 2010, le chiffre situé autour de 4000 ventes annuelles passait à près de 7000 (Source : Observatoire de la vente Hlm). En introduisant des dispositions visant à faciliter les processus de vente via la simplification de la définition des prix et de la création des sociétés de vente, la loi ÉLAN a marqué une nouvelle étape, le but assumé étant cette fois d’encourager les ventes pour contribuer au financement de la production de nouveaux logements.
"La vente fait partie du modèle français de développement et de croissance du parc Hlm", selon Pierre Laurent, responsable du département du développement de la Banque des Territoires, invité du webinar de l’USH sur le thème La vente de logements sociaux chez nos voisins européens : quelles bonnes pratiques en retenir au service de nos territoires et des nouveaux accédants? "En 2018, les plus-values de cession du secteur contribuaient à un tiers de l’autofinancement des bailleurs. Si l’on estime que la crise sanitaire devrait engendrer une baisse de 30% des ventes, on prévoit, en revanche, un rebond en 2021 et un retour en 2022 au niveau d’avant la crise. Les ventes pourraient doubler d’ici 2025, pour atteindre 15000 à 17000 logements vendus, permettant de préserver la santé financière du secteur et de contribuer à assurer la capacité d’investissement des bailleurs".
En attendant de vérifier ces estimations, étonnés par la progression encore relativement faible comparée aux objectifs évoqués par les pouvoirs publics, les acteurs du monde Hlm rassemblés le 4 novembre à l’initiative de l’USH, ont partagé de récents travaux menés à l’échelle européenne, pour mettre en perspective la situation française.
Quatre pays, quatre jeux d’acteurs
Matthieu Gimat, maître de conférences (Université de Paris-Géographie-Cités), a rapporté les résultats et les enseignements d’une étude à laquelle il a contribuée, intitulée : État des connaissances sur la vente de logements sociaux en Europe : Allemagne, France, Pays-Bas, Royaume-Uni. Un travail réalisé à partir de 400 références scientifiques.
Au Royaume-Uni, l’ensemble du parc social, géré par les collectivités, a été mis en vente en 1980 au profit des occupants, avec des niveaux de décote autour de 50%. En a résulté un très important volume de logements vendus puis un épuisement progressif au fur et à mesure que l’offre diminuait. L’État est le principal destinataire des produits de cessions.
Aux Pays-Bas, ce sont des bailleurs indépendants qui gèrent les logements sociaux et décident de les mettre en vente à destination des ménages, avec un niveau de décote de 30% par rapport aux prix du marché. Les bailleurs sont les principaux destinataires des produits de cession.
En Hongrie, l’État, qui est le gestionnaire des logements sociaux, a mis en vente la quasi-totalité des logements à destination des ménages afin de récupérer les fonds. La décote tourne autour de 70%, avec des ventes nombreuses et rapides. L’État est le principal destinataire des produits de cession.
En Allemagne, ce sont des bailleurs publics et privés qui gèrent les logements sociaux avant la vente, et mettent en vente en bloc tout ou partie de leur patrimoine, avec une décote de moins de 30% par rapport aux prix du marché. Les acquéreurs sont principalement des investisseurs. Les actionnaires des bailleurs, essentiellement les collectivités, sont les principaux destinataires des produits de cession.
Conséquences aux Pays-Bas et au Royaume-Uni
Considérant que Pays-Bas et Royaume-Uni constituaient les points de comparaison les plus pertinents par rapport au modèle français, Matthieu Gimat est revenu sur les conséquences des politiques de vente menées sur ces deux territoires. Il a d’abord tenté de répondre à la question de savoir si la vente de logements sociaux permettait des parcours résidentiels ascendants pour les acquéreurs. Il s’avère que les profils types sont des ménages à emplois stables, avancés dans leur parcours familial, avec au moins un enfant. Il s’agit souvent d’acquéreurs locaux, qui se maintiennent plus longtemps que la moyenne dans leur logement, et sont plus souvent issus des minorités que dans les autres filières d’acquisition. "La revente du logement social est l’occasion pour eux de poursuivre un parcours social ascendant, en réalisant une plus-value souvent très importante, notamment au Royaume-Uni du fait du niveau élevé de décote", observe le chercheur. Mais "la vente peut aussi s’avérer source d’une transformation du statut social, qui les voit passer des plus aisés du secteur social aux moins aisés du secteur libre, ce qui peut être difficile à vivre", souligne-t-il.
Quant à savoir si la vente de logements sociaux permettait d’améliorer la mixité sociale, il a estimé qu’elle augmentait la mixité des statuts d’occupation, mais qu’elle contribuait également à accentuer la différenciation entre les ensembles les mieux et les moins bien entretenus.
Enfin, Matthieu Gimat a indiqué que dans ces deux pays, la vente de logements sociaux avait contribué à la résidualisation du parc social dans les secteurs les moins valorisés. La diminution du parc induit une spécialisation sociale en sectorisant les populations les moins aisées. "La vente n’est pas à l’origine de ces processus, elle ne fait que les accentuer", nuance-t-il.
France et Pays-Bas, des obstacles communs
Pour Bruno Marot, urbaniste et docteur en politiques urbaines, co-auteur de l’étude, le cas des Pays-Bas se rapprocherait du modèle français, notamment sur la marge de manœuvre à disposition des organismes dans la mise en œuvre des politiques de mise en vente. Dans les deux cas, "si les objectifs sont fixés par le gouvernement, ils ne sont pas contractuels et, de ce fait, pas contraignants pour les bailleurs", a-t-il expliqué.
À l’instar de la France, le modèle néerlandais se caractériserait également par une difficile transformation des objectifs de vente en réalisation opérationnelle, révélant un décalage entre les orientations stratégiques souhaitées par les pouvoirs publics et les pratiques adoptées par les bailleurs. "Les difficultés à concrétiser les politiques de vente tiennent au manque d’outillage technique des bailleurs, aux réticences de certains, et enfin aux conditions locales du marché immobilier, qui sont par endroit peu favorables à la vente", a-t-il indiqué, ajoutant plus tard : "La mise en œuvre des politiques de droit à la vente se heurte souvent à un déficit de démarche partenariale, avec des politiques nationales parfois peu au fait des contextes locaux, et un manque d’intégration horizontale au niveau local, marqué par de faibles coopérations entre les collectivités et les bailleurs".
Ce travail de recherche fait également apparaître des disparités concernant les revenus de cession. Car si au Royaume-Uni une part importante des revenus revient au gouvernement et n’est pas réinvestie dans le secteur du logement social, à l’inverse, aux Pays-Bas, les revenus sont intégralement reversés aux organismes vendeurs, qui les utilisent pour financer leurs opérations et investir. "Dans l’expérience des Pays-Bas, la vente a plutôt contribué à renforcer la solidité financière des organismes, sans toutefois rendre le secteur du logement social autosuffisant", a précisé Bruno Marot.
Le regard de Housing Europe
Dara Turnbull, coordinateur de recherche de Housing Europe, a proposé un zoom sur les caractéristiques de cinq pays aux profils distincts : l’Autriche, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie et la Suède. En Autriche, la loi autorise les locataires à acheter leur logement après une durée d’au moins 6 ans d’occupation, pour autant qu’ils se soient acquittés d’un acompte à leur entrée dans le logement. Cet acompte - de l’ordre de 72 € par m2 - correspond à une participation des locataires au prix de la construction du bien. Entre 2011 et 2018, le pays a enregistré 122000 nouvelles mises en service pour 31000 ventes.
Du côté de l’Angleterre, entre 1980 et 2018, ont été enregistrées 2,1 millions de ventes, avec une réduction du parc de 27%. En Allemagne, le parc social représente entre 3 et 4% du parc immobilier total. À la différence de la France et de nombreux pays européens, les logements ont une période de verrouillage de 15 à 30 ans, au terme de laquelle les bailleurs peuvent louer à nouveau au prix du marché et mettre en vente auprès d’acheteurs particuliers.
L’Italie compte un parc social relativement réduit, qui représente 3% du parc total, avec 700000 unités. Les ventes y sont possibles depuis 1993 mais sont caractérisées par des périodes très longues d’attente pour les acquéreurs. Quant à la Suède, elle se définit par l’existence de logements dits publics, et non sociaux, accessibles à tout un chacun, sans critère de coût ni de revenu. "En matière de vente, ces logements publics sont transférés à des coopératives et l’argent gagné est entièrement réinvesti dans le secteur", souligne Dara Turnbull.
Du bon fonctionnement des copropriétés
Le tour d’Europe des modèles du logement social s’est achevé sur la question du fonctionnement de la gestion des immeubles vendus et des copropriétés. "En Autriche par exemple, une personne qui achète un logement social doit, pendant 15 ans, vivre dans un système très réglementé, avec beaucoup de contrôles", a détaillé Dara Turnbull. "Il n’est pas possible de revendre à n’importe qui, d’entreprendre des changements sur le caractère des bâtiments, ou encore de louer les logements via des plateformes telles que Airbnb".
Contacts : Cécile Chopard, responsable du département des politiques patrimoniales, cecile.chopard@union-habitat.org et Chrystel Gueffier-Pertin, conseillère “Accession sociale, vente hlm, copropriété” chrystel.gueffier-pertin@union-habitat.org Direction de la Maîtrise d’ouvrage et des Politiques patrimoniales, USH.
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