"Les politiques de peuplement et d’attribution représentent un enjeu fort pour l’USH et les organismes et sont liées à une injonction à la mixité sociale. Cette dernière suscite un débat controversé, mais dans lequel l’ensemble du Mouvement Hlm a une position claire : œuvrer en faveur de la diversité." En ouvrant cette journée, Juliette Furet, responsable du département des politiques sociales à l’USH, a d’emblée évoqué les problématiques qui accompagnent les politiques d’attribution : tensions entre droit au logement et mixité sociale, tendance à l’entre-soi, manque de logements et d’accompagnement adaptés hors QPV et recomposition institutionnelle en cours avec la montée en puissance des intercommunalités. Elle a posé une question qui va interpeller les chercheurs : "Les politiques d’attribution sont-elles le bon levier pour créer de la mixité ou faut-il imaginer autre chose ?"
Une recherche centrée sur le pouvoir intercommunal
La responsable du projet de recherche, Valérie Sala-Pala, professeure de Science politique à l’université Jean Monet à Saint-Étienne, a exposé les objectifs : "la recherche vise à comprendre dans quelle mesure les politiques de peuplement et d’attribution sont capables de produire de la justice sociale et spatiale." Dans cette perspective, la démarche s’appuie sur trois partis pris : focalisation sur le logement social, articulation des politiques d’attribution et de production de logements sociaux et analyse de la dimension intercommunale de ces politiques. Elle a aussi rappelé que les questionnements et le cadre législatif des politiques de mixité sont assez anciens. Depuis la loi Besson de 1990, plusieurs autres textes sont venues soutenir la mixité par la production de logements telles que les lois SRU en 2000 ou ALUR en 2014. D’autres visent directement les attributions, telles que le Pacte de relance pour la ville en 1996 ou, très récemment, la loi Égalité et Citoyenneté. « Les politiques de peuplement et d’attribution sont confrontées à des recompositions majeures du rôle des acteurs et à une reconnaissance renforcée des enjeux de peuplement dans un contexte de précarisation accrue des ménages du parc Hlm », poursuit-elle.
Une question centrale émerge, quel sera le rôle des intercommunalités dans ces changements ? Pour y répondre, Rémi Dormois, coresponsable du projet de recherche et chercheur associé en Science politique au Laboratoire Environnement, Villes, Sociétés, entend approfondir la compréhension des mécanismes de gouvernance intercommunale de ces politiques. "L’idée est d’aller voir la masse critique des intercommunalités de taille intermédiaire encore peu avancées sur les politiques de peuplement et d’attribution qu’elles "sous-traitent" souvent aux bailleurs sociaux. Il s’agit également de mieux comprendre la contradiction entre droit au logement et mixité ainsi que le repositionnement des maires et des organismes Hlm par rapport aux établissements publics de coopération intercommunale." Le point d’entrée de la recherche se situe clairement au niveau des territoires et des acteurs locaux. Rémi Dormois a aussi quelque peu réfréné les enthousiasmes en appelant à la « prudence sur le fait que la recherche en cours pourra mesurer des effets sur d’éventuelles recompositions sociales à l’échelle des segments du parc ».
Une équipe pluridisciplinaire, des territoires représentatifs
Le projet de recherche sur les politiques de peuplement et d’attribution est conduit par une équipe pluridisciplinaire composées de politistes, de sociologues et d’urbanistes, issus de plusieurs institutions universitaires. Il portera sur sept intercommunalités dont quatre sont venues présenter leur territoire et leurs politiques lors de la journée de lancement : Bordeaux Métropole, Grenoble-Alpes Métropole, Saint-Étienne Métropole et la Communauté urbaine de Dunkerque. Les exposés ont été présentés à deux voix : représentants de la direction habitat de l’EPCI et des organismes Hlm. Ces collectivités ont été choisies en raison de leur représentativité sur deux axes selon leur degré d’intégration intercommunale et de tension du marché. La Communauté d’agglomération du Pays de Meaux figure aussi parmi les territoires étudiés. Reste donc à l’équipe de recherche à identifier deux autres collectivités. Les travaux de recherche ont commencé fin 2017 et se poursuivront jusqu’à la fin 2020. Un séminaire annuel réunira l’ensemble des parties prenantes.
Contacts : Dominique Belargent et Juliette Furet, Union sociale pour l’habitat.
Les effets des politiques de peuplement sur l’occupation Une prudence que ne partagent pas les partenaires de la recherche, à l’instar de Damien Kacza du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) : "Nous souhaitons savoir ce que les politiques de peuplement produisent sur l’occupation sociale et il me paraît nécessaire de conserver cet objectif sur la durée de la recherche." Pour sa part, Juliette Furet a rappelé la nécessité de placer au cœur du projet la mixité sociale de même que "les outils utilisés par les acteurs pour porter et suivre les politiques d’attribution". Elle estime aussi très important d’analyser les politiques d’accompagnement qui sont une condition indispensable à la mise en place de la mixité.
Aurélie Duffey, responsable du service gestion du logement social et de l’hébergement de Grenoble-Alpes Métropole, attend que cette recherche la renseigne mieux sur "la contribution des politiques de peuplement à l’intégration des habitants." Claire Delpech de l’Assemblée des communautés de France (AdCF) considère que l’entrée par la gouvernance intercommunale et les territoires est une bonne option pour analyser les politiques d’attribution et la plus-value des EPCI. Et de préciser que « la fusion des services habitat des intercommunalités avec ceux des villes-centres conduit à regarder autrement les oppositions communes/communautés notamment dans la mise en œuvre des politiques de mixité sociale. »
Parmi les nombreuses contributions sur ce projet de recherche, Dominique Belargent, responsable des partenariats institutionnels à l’USH, a souhaité que la recherche examine en quoi "l’élargissement du système des acteurs, dû à la montée en puissance des intercommunalités, peut contribuer à ne pas laisser les organismes Hlm, seuls, aux prises avec la poursuite d’objectifs contradictoires : mixité sociale versus droit au logement, objectifs de peuplement versus égalité d’accès et non-discriminations, etc." Enfin, Marie-Laure Vuittenez, directrice générale à Saint-Étienne Métropole Habitat et Sébastien Thonnard, directeur de la location et des ventes de Domofrance, se sont interrogés sur les conditions dans lesquelles les organismes Hlm pourraient conduire ces politiques, alors que des réformes importantes impactent fortement leurs moyens et leur organisation. Ces remarques et commentaires vont, comme l’a souligné Valérie Sala Pala, "nourrir le questionnement des chercheurs et apporter des pistes nouvelles au projet de recherche."
(1) La recherche est financée par l’Union sociale pour l’habitat, l’Institut de la recherche de la Caisse des dépôts, le Plan urbanisme construction architecture (Puca) et le CGET. L’AdCF apporte également son soutien et des partenariats locaux sont envisagés. Une vidéo présentant la recherche a été tournée à l’occasion du séminaire de lancement : https://www.union-habitat.org/actualites/intercommunalites-attributions-et-politiques-de-peuplement-quelles-recompositions
État des connaissances
Marine Bourgeois, chercheuse post doctorante à l’université Jean Monet de Saint-Étienne, a présenté un état des connaissances sur les politiques de peuplement et d’attribution de logements sociaux ainsi que sur le pouvoir intercommunal. Plusieurs interprétations sont fournies pour expliquer la ségrégation à l’œuvre dans certains territoires : le rôle des individus et des groupes sociaux mus par des facteurs culturels, la recherche de l’entre-soi et la mise à distance des autres. Certaines approches mettent l’accent sur les dynamiques structurelles et macro-économiques. À partir des années 1990, des chercheurs soulignent le rôle des institutions et des politiques publiques qui produiraient des effets paradoxaux tels que la gentrification de quartiers populaires et l’exclusion des plus pauvres. Le manque de transparence des attributions, l’ambiguïté du cadre légal qui définit le droit au logement et l’injonction de mixité sont alors assez généralement évoqués. Il apparaît également que les politiques d’offre peuvent se transformer en politiques de peuplement. Par exemple, les communes qui privilégient la production de logements intermédiaires de type PLS répondent aux obligations légales en favorisant l’accueil de classes moyennes mais avec peu d’effet sur la mixité sociale.