“Il faudrait que nous soyons exemplaires”, invitait le 3 juin le président de l’Aorif, en introduisant une table ronde sur le rôle des bailleurs sociaux franciliens dans la transition écologique et énergétique des bâtiments. Encourageant à “mutualiser, partager pour faire mieux ensemble”, Damien Vanoverschelde semblait esquisser la conduite à tenir pour les années à venir afin de relever les défis, notamment climatiques, qui nous submergent alors que le logement est le deuxième émetteur de gaz à effet de serre.
Le bâti existant, un enjeu crucial et… colossal
Comme l’a souligné d’emblée Franck Boutté, ingénieur spécialisé en environnement et architecte, le bâti existant est plus que prédominant puisqu’il représente pas loin de 99% du total des bâtiments d’habitation. Concernant la consommation énergétique dans le neuf, elle est de l’ordre de 50 kWh/m2/an comme l’impose la RT 2012, contre 250 à 500 kWh/m2/an dans l’existant. Si bien que “le neuf ne représente que 0,1 à 0,2 % par an de l’enjeu énergétique (en énergie blanche)”, calcule Franck Boutté, illustrant son propos d’un disque noir destiné à frapper les esprits (voir ci-contre). Or, c’est sur le neuf que les efforts ont le plus porté.
Reste que le neuf permet, d’une part, d’expérimenter et de mettre en place des dispositifs également applicables à l’existant de manière massive ; d’autre part, de faire levier sur son territoire d’accueil par des mutualisations avec l’existant. À l'instar de l’écoquartier Hoche de Nanterre, construit il y a plus de dix ans et auquel Franck Boutté a contribué en tant qu’AMO environnemental pour l’Epadesa, dont la chaufferie biomasse a été reliée à la cité Komarov voisine. En élargissant le périmètre du réseau, la masse critique a été atteinte pour intéresser un opérateur énergéticien et le bilan carbone territorial a été divisé par cinq.
Armelle Hay, directrice générale de la coopérative Hlm MC Habitat, insiste, elle, sur l’intérêt de démarches collectives comme l’achat groupé d’énergie ou la mutualisation de réseaux de géothermie, particulièrement adaptés en Île-de-France. Et d’évoquer une opération de réhabilitation-densification menée en Seine-et-Marne, qui a été l’occasion de raccorder l’ensemble au réseau de géothermie de la collectivité locale et de supprimer le système de gaz existant, avec à la clef une réduction de 15% du coût de l’énergie.
Un mur d’investissements
Comme insiste Stéphane Dauphin, directeur général de Seqens, les bailleurs sociaux se trouvent face à un “mur d’investissements” et de nombreuses incertitudes. Si l’on suit les diagnostics de performance énergétique (DPE), sur les 5,2 millions de logements locatifs sociaux de l’Hexagone, 44% atteignent les niveaux A, B ou C, et 7% les niveaux F et G (contre 25% et 18% pour le parc privé). Avec 1,2 million en E, F ou G, le parc social devrait être réhabilité au rythme de 180 000 logements par an - contre 105 000 actuellement sans atteindre les niveaux A et B - avec le double d’investissements, pour atteindre l’objectif de neutralité carbone fixé à 2050. Ce qui soulève au passage les questions des travaux en milieu occupé, de l’intervention sur du bâti patrimonial et d’une meilleure formation des entreprises du bâtiment. Mais aussi de réflexion à l’échelle du quartier, voire du territoire, ce à quoi le cadre réglementaire comme les labels n’incitent pas.
Jérôme Puell, directeur général délégué de l’ESH Coopérer pour Habiter, met en avant la nécessité d’accélérer le rythme des réhabilitations afin de stabiliser les dépenses des usagers. Patrick Chaimovitch, le maire de Colombes, ne dit pas autre chose quand il parle de “la prise en compte du reste à vivre des locataires”. Un engagement supplémentaire de l’État et des pouvoirs publics, y compris financier, lui semble indispensable, a fortiori avec la flambée des prix des matériaux aggravée par la situation géopolitique, mais aussi la spéculation foncière qui serait, d’après lui, à juguler.
Le concept de seconde vie des bâtiments, voire de troisième, mis en avant par Stéphane Dauphin, implique de définir des outils pour optimiser l’existant, de donner un cadre opérationnel d’intervention et des financements spécifiques. La question est posée d’une intervention progressive qui implique davantage les usagers. Franck Boutté invite ainsi à “penser nos opérations dans leur capacité à engager les citoyens dans des comportements plus vertueux. C’est le seul moyen d’atteindre les objectifs”.