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Tribune : "Ménageons nos vies et nos écologies… et déménageons le territoire !" AH

Si pandémie et confinement ont mis en lumière la vulnérabilité des groupes sociaux les plus démunis, cette période a également mis l’offre de logements, d’emplois ou encore l’environnement des grandes villes en débat. Il était temps, pour Guillaume Faburel, professeur à l’Université Lyon 2, UMR Triangle, auteur des Métropoles barbares et de Pour en finir avec les grandes villes (Éditions Le Passager Clandestin).

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Cela fait plusieurs décennies qu’à bas bruit un désir grandit en France comme ailleurs, gagnant progressivement l’ensemble des groupes sociaux. Toutes les enquêtes indiquent un désamour grandissant pour les cadres de vie de plus en plus artificialisés, les rythmes de vie accélérés, les modes de vie sur-stimulés, avec, dedans, des sentiments de saturation et de dépossession souvent exprimés, des sensations d’étouffement et de fatigue largement relayées. Même si la grande majorité de la population est encore enjointe d’y résider par nécessité de formation et d’emploi, la ville, la grande, incarnerait moins bien le moyen de se construire et de se réaliser.

Ainsi, rien que sur les trois dernières années, les demandes Hlm vers des départements moins urbanisés ont considérablement augmenté. C’est le cas depuis l’Île-de-France vers la Sarthe, la Mayenne ou encore les départements bretons.

Il est vrai que l’on assiste depuis maintenant 50 ans, c’est-à-dire depuis le tournant néolibéral de l’économie mondialisée, à un véritable emballement urbain. Chaque mois à travers le monde, l’équivalent d’une ville comme New York sort de terre. En dix ans, en France, c’est l’équivalent de la moitié d’un département qui a été urbanisé, particulièrement dans le périurbain. Mais ne nous y trompons pas, ces espaces ne sauraient être seuls concernés, car toute métropolisation a bien trois visages : densification intérieure (comme on peut le voir à travers les projets du Grand Paris), extension extérieure (périurbanisation), et, ailleurs, agriculture intensive, fermes-usines, centrales énergétiques, plateformes logistiques, hubs de desserte rapide… pour continuer à vivre agglomérés.

À la recherche de nouvelles capacités d’autonomie

Dans ce désamour installé, la densité est plus que jamais questionnée. Une enquête de l’Observatoire société et consommation, publiée en février 2020, indiquait que 74% des Français qui trouvaient leur commune trop dense souhaitaient vivre ailleurs. Bien que vantés par nombre de pensées écologistes, les effets environnementaux des grandes concentrations sont dorénavant mis à nu, entre minéralité et pollution, consommations énergétiques et absence de nature(1). Mais, dès lors, puisque la densité en est en partie la définition, quelle serait la vi(ll)e rêvée lorsque le credo du “tous urbains” et les intérêts économiques sont à ce point encore installés(2) ?

Selon l’USH, 18% des membres du parc Hlm déclaraient en 2019 être intéressés par des modes d’habiter autosuffisants, basés sur la recherche d’autonomie énergétique et alimentaire en lien avec un mode de vie moins dépendant du monde urbain. Déjà remarquée dans d’autres groupes sociaux, voici la raison première de la contrariété, car l’autonomie consiste à choisir ses dépendances pour répondre très directement par ses propres moyens à ce dont on a besoin. Comment faire autonomie dans la densité s’il n’y a par exemple pas d’espace pour cultiver ?

Derrière cette insatisfaction se joue le ressenti de dépossession déjà évoqué. Face aux mouvements permanents, aux déplacements incessants, à la fatigue engendrée, une sensation de se trouver dépossédé par des vies urbaines sur-stimulées grandit. L’autonomie est certes volonté d’autosubsistance mais également d’autodétermination. Il s’agirait dès lors de vivre ailleurs que dans les grandes densités qui construisent, par effet de masse, de la distance, politique comme sociale(3). Bref, (re)trouver ailleurs socialisation et pouvoir d’action. Voilà pour une deuxième contrariété née de la vie des grandes agglomérations.

Enfin, troisième volonté, les enquêtes convergent également depuis quelques temps pour indiquer que, dans l’ensemble des groupes sociaux, l’accès à des environnements plus ouverts, à des espaces de nature, à des paysages de verdure… suscite de plus en plus d’envies que les grandes concentrations ne pourront, par effet de densité, jamais satisfaire. S’il s’agit bien de subsistance - en renouant notamment avec quelques traditions potagères ouvrières - il est plus largement question ici de satisfaire au besoin d’autres rythmes de vie dans d’autres environnements et, ce faisant, rapports au vivant. C’est ainsi que, loin de la sobriété forcée, ralentir et “vivre mieux avec moins” gagnent en notoriété(4).

Dès lors, si la densité des grandes villes interdit de faire autonomie par l’écologie, cantonnant à la machine à désir par effet d’agglomération, insensibilisant à la dépendance énergétique par technicisation, déliant de tout rapport à la terre par concentration et neutralisant le pouvoir d’agir par massification, quelle serait la géographie à penser ?

Désirabilité et vivabilité urbaines sont en fait dorénavant étalonnées sur la taille des villes. L’enquête nationale du Cevipof menée en 2019 n’indiquait-elle pas avant la pandémie que 45% des Français souhaiteraient vivre à la campagne, 41% dans une ville moyenne et seulement 13% dans une métropole ? Le Baromètre des territoires, mené en partenariat avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), publié à l’été 2021, ne montrait-il pas que 33% des Français perçoivent les villes moyennes comme les plus aptes à s’adapter aux défis du changement climatique, devant les petites villes (26%), les territoires ruraux (23%) et, en dernière position, les métropoles (18%) ? Voici les strates géographiques urbaines qui devraient être prioritaires pour toute planification d’(a)ménagement. Mais rien ne changera si croissance et attractivité des grandes villes ne sont pas remisées, quelles que soient les velléités de végétalisation et de plans vélo, d’agriculture urbaine et de tiers-lieux, de “ville-forêt” et de “ville du quart d’heure”. Les données sont claires en la matière(5). Politique de masse, politique de nasse, pour ne pas dire politique de classe.

C’est donc, pour reprendre les mots du géographe Maurice Le Lannou (1967), à un grand “déménagement du territoire” auquel il va nous falloir nous atteler, avec relocalisation des activités pour se déconcentrer, avec décentralisation des pouvoirs pour d’autres capacités, et, non la moindre, avec un peu d’autonomie pour lutter par la sobriété contre le forçage généralisé des écosystèmes que les grandes polarités urbaines orchestrent.

Retrouver le sens des limites

Le gouvernement espagnol vient de lancer un plan d’aide pour que les moins de 35 ans puissent reprendre une maison dans des villages de moins de 5 000 habitants. En France, les ressources existent pour un tel desserrement. Pour ne prendre que la question du logement, plutôt que de continuer à en construire 350000 par an, à 80% dans les métropoles et leurs extensions résidentielles, il y a en France plus de 6 millions de logements sous-occupés et plus de 3 millions vacants, justement, strict opposé, à plus de 80% hors des métropoles. Sans parler de l’accès aux terres pour la souveraineté alimentaire. Ce sont aujourd’hui les villes moyennes qui présentent le plus fort potentiel en la matière. Voilà qui permettrait de retrouver collectivement le sens des limites et de faire décence à l’endroit du vivant, tout en satisfaisant des désirs de plus en plus partagés socialement.

Or, que ce soit par la répartition géographique du parc Hlm ou par les cultures populaires de l’écologie (avec les traditions vivrières évoquées), les bailleurs sociaux ont un rôle premier à jouer face à un tel dessin que plusieurs organismes(6) et mouvements(7) recommandent. Entre coopératives d’achat et habitat participatif, recycleries solidaires, mutualisation des services du quotidien et espaces du commun, les organismes de logement social ont quelques potentiels et expériences pour tenir dans le même mouvement fin du mois et fin du monde.

(1) Philippe Bihouix, Sophie Jeantet, Clémence de Selva, 2022, La Ville stationnaire. Comment mettre fin à l’étalement urbain ?, Actes Sud.
(2) La Banque mondiale affirmait lors de la pandémie que la densité n’était pas un problème (Somik Lall et Sameh Wahba, 2020, Banque mondiale, BIRD-IDA) tandis que Nexity et Vinci clamaient en cœur “Vive la densité urbaine !” après le premier confinement (Cécile Maisonneuve, lafabriquedelacite.com, 20 août 2020).
(3) Aujourd’hui, c’est dans les villes de plus de 100 000 habitants que le sentiment de solitude, qui affecte 14% des Français, est le plus important (données 2020 de la Fondation de France).
(4) Représentations sociales du changement climatique : 22e vague du baromètre, Ademe, Direction exécutive prospective et recherche, 2021.
(5) Cf. le plan de transformation de l’économie française du Shift Project.
(6) Sur les quatre scénarios visant à atteindre la neutralité carbone en 2050, celui dit “Génération frugale” prône le réinvestissement dans l’existant des petites villes et villes moyennes et une forte “ruralisation” de la société. Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat. Quatre scénarios pour la neutralité carbone, Ademe, 2020.
(7) Tribune Habiter la terre, ménager la Terre de 36 enseignants-chercheurs en sciences humaines et sociales, agronomie, sciences de l’écologie, études artistiques, architecture et philosophie, appelant à désurbaniser les territoires et à réempaysanner nos cultures pour une société un peu plus nourricière. Libération, 1er avril 2022.