
Date de publication :
07 juin 2023
Auteur(s) :
MAGALI TRAN
Économie circulaire dans le bâtiment : stop aux idées reçues !
« Ça coûte cher ». « Je ne peux pas faire ce que je veux ». « C’est compliqué ». « Rien ne m’y oblige ». « Ce n’est pas beau ». Ces phrases souvent entendues à propos de l’économie circulaire s’appliquent-elles à l’utilisation de matériaux de réemploi dans la construction ou la réhabilitation ? Pas si sûr.
En toile de fond de la journée professionnelle de l’USH sur l’économie circulaire, organisée le 11 mai à Paris, une volonté : celle de tordre le cou aux idées reçues concernant le réemploi des matériaux dans le bâtiment. Et quoi de mieux que de se réunir à la Maison des canaux, dans le 19e arrondissement, pour faire un sort à l’une d’entre elles selon laquelle « réemployer c’est abandonner l’esthétique » ? Pour la réhabilitation de l’ancien site administratif des Canaux parisiens, situé sur le quai du Bassin de la Villette, la Ville de Paris a poussé la démarche du réemploi très loin avec un souci de l’esthétique et de la qualité des matériaux : encadrements de portes en chêne réutilisés pour réaliser la terrasse, anciens carreaux de ciment pour la crédence des toilettes, pavés de voirie neufs de fin de chantier pour ériger un muret en pierre sèche, matériaux issus d’une Fashion week pour réaliser des aménagements intérieurs, chutes textiles en variation de bleus retissées pour confectionner des cloisons amovibles, etc. « La grande opportunité du réemploi, c’est de réactiver une économie locale », souligne Clara Simay, architecte à la Scop d’architecture Grand Huit. Elle a travaillé avec un groupement d’artisans locaux sur ce projet, qui se veut un démonstrateur de l’économie circulaire. « Nous avons systématiquement substitué au neuf une solution de réemploi. Cela se fait pas à pas, au fur et à mesure du projet ».
Ce qui amène à une autre idée reçue : « avec le réemploi je ne peux pas faire ce que je veux ». Évidemment, la démarche nécessite de s’adapter et d’être prêt à faire des concessions. C’est un véritable changement culturel qui doit être initié, soulignent Véronique Velez et Paul Saraïs, respectivement responsable Innovation et responsable du département Architecture à la direction de la Maîtrise d’ouvrage et des politiques patrimoniales (DMOP) de l’USH et organisateurs de l’événement.
Tous types d’opérations
À ceux qui pensent que « [leur] projet n’est pas adapté au réemploi », ils leur répondent que « les références et contextes sont nombreux » aujourd’hui, que ce soit sur des réhabilitations de logements collectifs, de grandes opérations tertiaires, l’aménagement d’espaces extérieurs… Ils conseillent d’y aller progressivement. C’est ainsi que l’entend Podeliha. « Nous avons identifié, avec un partenaire local, deux opérations de réhabilitation et trois démolitions qui présentaient un fort potentiel de réemploi », indique Anna Lefoulon, chargée d’études et d’opérations au sein de l’ESH angevine. Grooms et poignées de porte, garde-corps, sanitaires… les gisements ont été recensés et l’exutoire quasiment tout trouvé puisque « nous disposons d’une régie de travaux en interne, cela simplifie les choses ». Celle-ci réemploie donc certains matériaux pour ses propres besoins, et d’autres seront destinés à des entreprises. Beaucoup de questions et d’opportunités émergent de cette démarche, qu’il appartient à Podeliha de poursuivre : laboratoire du réemploi, chantier-test...
À plus grande échelle, l’OMH du Grand Nancy fait la preuve que l’on peut aller encore plus loin. Dans le cadre du renouvellement urbain du Haut-du-Lièvre, sur le Plateau de Haye, la démolition partielle des « plus grandes barres d’Europe » pour passer de 1 250 à 715 logements conduit à la dépose de matériaux de qualité en grande quantité : « Il était impensable de les jeter », témoigne Arnaud Gauthier, associé d’Ajir Environnement, AMO en économie circulaire. Un diagnostic exhaustif des ressources (et leurs fiches techniques) a été dressé, avec par exemple 3 000 mètres linéaires de garde-corps, 3 700 robinetteries, 2 100 châssis PVC double-vitrage… Une grande partie de ces matériaux sont réutilisés par l’Office Hlm pour réhabiliter les logements du quartier. Mais pour le reste, un « supermarché du réemploi » a été créé. Cette Maison du réemploi se dresse sur 3 000 m2, pour une durée de 5 ans, et propose un espace de vente sur rayonnages, comme dans un magasin de bricolage, à l’attention des professionnels et des particuliers. Une zone d’atelier est dédiée au démontage, nettoyage et vérification des caractéristiques techniques des produits.
Des exemples qui mettent à mal l’idée selon laquelle il est complexe de se fournir en matériaux de réemploi. La filière est en pleine structuration, rendant toujours un peu plus facile l’approvisionnement pour qui souhaite s’impliquer dans une telle démarche. Que cela passe par un réseau local d’artisans, que ce soient des outils dédiés aux organismes de logement social en interne, comme le teste Paris Habitat avec sa plateforme Réflexe (lire AH 1186) ou d’autres de plus large portée comme Mobius, Démoclès, Opalis, ou encore la plateforme Looping.immo du Booster du réemploi, les ressources ne manquent pas.
« Les assureurs le font tous les jours »
« L’OMH a fait le choix d’être son propre assureur produit, ne souscrivant une assurance que pour la pose », précise Arnaud Gauthier, en forme de réponse à ceux qui s’inquiètent que « cela engage trop ma responsabilité ». En réalité, pas plus que dans les opérations conventionnelles. Selon Pierre Garrigue, courtier en assurance chez Diot-Siaci Immobilier, il s’agit de « démontrer aux assureurs que le risque est normalisé, c’est-à-dire que les freins techniques et juridiques - bien réels - ont été pris en compte par le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre et les entreprises intervenantes ». Il invite à identifier et qualifier les produits, les valoriser pour fixer l’assiette des primes d’assurance, retracer la chaîne des acteurs intervenants pour chaque produit de réemploi, retracer les parcours des produits, et préciser les modalités de cadrage assurantiel de l’opération. « Cela se prépare en amont, mais les assureurs le font tous les jours », rassure-t-il.
En matière de performance des matériaux et de respect des normes, des précautions doivent toutefois être prises. D’où l’intérêt de s’entourer de professionnels du réemploi, notamment pour certains produits comme les appareils électriques. « Il faut une approche très “processée”, très industrielle », admet Hervé Grimaud, fondateur de la plateforme collaborative Démoclès et président-fondateur de l’entreprise Proclus spécialisée dans le réemploi des équipements électriques. « Les acteurs du réemploi doivent s’adapter aux acteurs du marché. Chez Proclus, nous évaluons aussi bien l’intérêt environnemental qu’économique d’un chantier. Après diagnostic, nous déposons les équipements intéressants, puis nous les reconditionnons et les revendons avec l’assurance adéquate », détaille-t-il.
Quoi qu’il en soit, « les DTU (Documents techniques unifiés) n’imposent pas de matériaux neufs, mais décrivent leurs caractéristiques minimales », souligne la DMOP. « Dans un ouvrage neuf, que l’on ait utilisé ou pas des produits réemployés ne change rien pour l’assureur », abonde Pierre Garrigue.
L’étau réglementaire se resserre
Et à ceux qui pensent encore ne pas avoir d’obligation en matière d’économie circulaire, la journée professionnelle aura été l’occasion de rappeler que la loi Agec de 2020(1) introduit l’obligation, au 1er juillet 2023, de réaliser un diagnostic PEMD (Produits, équipements, matériaux et déchets) avant démolition ou rénovation significative d’un bâtiment de plus de 1 000 m2 de surface de plancher. En parallèle, une plateforme PEMD sera développée par le ministère de la Transition écologique qui permettra aux maîtres d’ouvrage de respecter leurs obligations réglementaires, souligne Camille Golhen, cheffe de projet économie circulaire au CSTB. « En amont de la phase chantier, les PEMD seront publiés, pour donner de la visibilité aux matériaux et mobiliser les filières de valorisation », poursuit-elle.
Par ailleurs, la loi Climat et résilience préconise l’intégration d’une clause matériaux biosourcés ou bas-carbone (dont matériaux de réemploi) dans la commande publique, de 25 %, à horizon 2030. Plus incitatif, la RE 2020 valorise le réemploi dans l’analyse du cycle de vie des bâtiments, et les certifications favorisent le recours aux matériaux de réemploi dans leurs référentiels.
Reste la question du coût. « Un raisonnement en coût global doit être adopté », enjoint la DMOP. Si les études et le reconditionnement peuvent coûter cher, des économies peuvent être réalisées sur la matière ou encore sur le transport, dans le cas de réemploi sur site.
(1) Loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire du 10 février 2020.
Le Top 10 des matériaux les plus simples à réemployer
• Planchers surélevés à libre accès (planchers techniques/faux planchers)
• Chemins de câble
• Appareils sanitaires tous matériaux (lavabo, WC, vidoirs, urinoirs, vasques, éviers)
• Dalles amovibles plombantes conçues pour être démontables (revêtement de sols souples, moquette)
• Cloisons démontables de tertiaire
• Mobilier intérieur et extérieur
• Aménagements paysagers extérieurs (dalles gravillonnées, gravillons, pas japonais)
• Blocs portes intérieures (hors coupe-feu), y compris huisseries
• Parquets cloués ou posés flottants (assemblés par verrouillage mécanique sans collage entre eux)
• Radiateurs à eau (acier ou fonte).Source : Booster du réemploi
Pour en savoir plus : Dossier économie circulaire & biodiversité
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PARU DANS ACTUALITÉS HABITAT N°1189 DU 31 mai 2023
Actualités Habitat n°1189
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