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Thème de la publication
Management & Organisation
Numéro

Actualités Habitat n°1227

Paru dans

FÉVRIER 2025

Actualités Habitat n°1227

Date de publication :

28 février 2025

Auteur(s) :

VALÉRIE LIQUET

Gestion sociale : pour Maryse Prat, "l'efficience d'un organisme Hlm ne se limite pas à sa performance économique"

Il était important, pour Maryse Prat, de chiffrer le coût de la gestion sociale des organismes Hlm. Elle avait l’intuition que cette mission d’utilité sociale - « l’ADN des bailleurs », dit-elle - était insuffisamment prise en compte dans l’évaluation des performances des organismes. À sa demande, l’USH a commandé à HTC une étude ainsi qu’un outil permettant aux organismes d’auto-évaluer cette dimension et de la valoriser auprès de leurs partenaires et des organismes de contrôle. Explications avec l’ex-directrice générale de l’ESH La Cité Jardins, présidente de la commission Attribution, mixité et gestion sociale de l’USH, également présidente de la CGLLS.

Nous rencontrons Maryse Prat le 13  février 2025, jour où Juliette Méadel, ministre chargée de la Ville, présente dans les médias son instruction aux préfets leur demandant un état des lieux de l’utilisation de l’abattement de la TFPB par les bailleurs, annonçant des sanctions en cas de manquement (lire aussi p. 4). « Encore une fois on tape sur la tête des Hlm, s’agace-t-elle, évidemment, la ministre de la Ville a dit que la majorité des bailleurs accomplissaient de manière tout à fait correcte leur travail, mais les citoyens retiendront les problèmes d’entretien du patrimoine, de nettoyage, de pannes d’ascenseurs… ». Et immédiatement elle ajoute : « C’est pour cela que la notion d’utilité sociale des bailleurs doit être rappelée et que le coût de la gestion sociale devait être chiffrée ».

Que recouvre exactement le champ de la gestion sociale ?

Tous les bailleurs n’ont pas la même définition, mais il y a un socle commun : celui du travail social et de la proximité. Dans le contexte actuel de précarité, les organismes, toujours soucieux de remplir leur mission d’utilité sociale, ont élargi leurs missions et la plupart va bien au-delà de ce socle.
Alors où commence la gestion sociale, où se termine-t-elle ? Elle commence dès que vous enregistrez une demande de logement Hlm. Elle se poursuit quand vous procédez à une attribution, tout simplement parce que vous ne la faites pas n’importe comment. De multiples paramètres entrent en compte : l’environnement, l’adéquation du logement au profil de la famille, les ressources et le reste à vivre.
Ensuite, la proximité se tisse avec le lien social. Il s’établit à l’entrée dans les lieux avec la première prise de contact entre le bailleur et le locataire. Par exemple, le locataire qui arrive dans un logement en se disant « ça sent la peinture, ça sent le neuf » se sentira considéré, ressentira du bien-être. Le lien social se poursuit tout au long de la vie avec l’accompagne-ment de la famille, à la fois en prévention et en soutien. Un mois d’impayé, ça arrive à tout le monde. Deux mois, ça commence à être inquiétant. Alors plutôt que de lancer systématiquement un courrier de réclamation, et parce qu’on sait qu’un locataire qui ne parvient plus à régler son loyer, c’est aussi un locataire qui ne paie plus la cantine de ses enfants, on prend contact avec lui, on se déplace à son domicile pour mesurer l’étendue de ses difficultés : les enfants sont-ils toujours scolarisés ? Tous les membres de la famille sont-ils en bonne santé ? Éventuellement, on alerte les services de la mairie. On déclenche des partenariats, on cherche des solutions.
La gestion sociale des organismes Hlm, c’est une dynamique interne, c’est un ensemble d’interventions au quotidien pour prévenir les situations problématiques. Tout cela a un coût. Et ce coût n’avait jamais été chiffré.

Pourquoi avez-vous estimé qu’il était utile de chiffrer ce coût ?

Le déclencheur, c’est que certains “contrôles” ont pu facilement cibler un organisme dont le coût de gestion « est plus élevé que la moyenne ». Sans chercher à savoir ce qu’il y avait derrière.

Vous parlez ici des contrôles de l’Ancols ?

Tout à fait. Leur analyse de la performance et de l’efficience de l’organisme se fait notamment par le suivi du coût de gestion par logement, qui est une approche très financière. C’est totalement incomplet. En allant au bout de ce raisonnement, cela voudrait dire que le bailleur qui ne mène aucune gestion sociale autre que le minimum réglementaire, parce qu’il a moins de frais, serait un très bon bailleur !
Or l’ADN du bailleur social, c’est sa mission d’utilité sociale, donc sa gestion sociale.
Le contrôle aussi est utile, ce n’est pas la question. La question, c’est que la société a évolué : nos publics se paupérisent, ils vieillissent, les problèmes de santé mentale font des ravages, les jeunes ne parviennent pas à se loger… En réponse, les bailleurs adaptent leur activité et leur environnement de travail, ils intensifient leurs actions en matière de gestion sociale, ce qui se répercute sur les coûts de gestion. Et l’efficience d’un organisme continuerait à se limiter à quatre ou cinq indicateurs comptables ? Ce n’est pas possible, il faut que les indicateurs aussi évoluent.
Nous sommes à une étape où tout le monde doit se mettre autour de la table et s’accorder pour chiffrer le coût de la gestion sociale des organismes. Notre étude est un début. Je veux croire que nous sommes au T0 d’une démarche qui va se poursuivre.

Quel est, à T0, le chiffre qui vous a le plus marquée ?

S’il fallait ne retenir qu’un chiffre, ce serait celui de 10 % : la gestion sociale est évaluée à 10 % des coûts de fonctionnement en moyenne. C’est déjà très important, 10 %. Et j’ai bien peur que cette part augmente encore. En creux, si ce coût est élevé, c’est à la fois car les besoins augmentent mais aussi parce que certains acteurs soumis à des contraintes budgétaires font des arbitrages économiques. Le bailleur social est parfois amené à pallier le désengagement d’autres acteurs. Les écarts sont différents selon les organismes. En ayant connaissance de cette moyenne, un directeur général, qui auto-évaluera son coût de gestion de la gestion sociale avec le tableau Excel que nous proposons en annexe de l’étude, ré-interrogera sa stratégie. Cet outil d’aide à la stratégie du DG lui permettra de quantifier en euros, et de valoriser, sa gestion sociale auprès de l’Ancols, mais aussi dans son rapport RSE, auprès des partenaires (y compris pour discuter d’une contribution financière) et au sein du conseil d’administration. Dans une période de difficultés financières, il faut tenir, éviter les raccourcis rapides proposés par des tableurs magnifiques mais purement comptables.

C’est donc tableur contre tableur ?

Sauf que l’un des deux est composé d’indicateurs humains. La très très grande majorité des DG d’organismes de logement social sont habités par leur mission. Un DG n’est pas hors sol comme on le suppose souvent. Il connaît les locataires, il est capable de vous dire à quel endroit il y a eu un incendie tel soir, parce qu’il était sur place, avec le maire, qui l’a appelé sur son 06. C’est très violent pour les DG d’entendre que leur gestion est remise en cause, qu’ils pourraient faire “de sacrées économies”, sans analyse plus fine. Face à une performance des résultats qui se chiffre sur les performances économiques, c’est à nous de mettre en avant notre valeur ajoutée sociale. La performance économique, elle peut exister, mais elle ne doit pas se faire au détriment de la gestion sociale.
Nous voulons impulser un changement de paradigme, résoudre le paradoxe entre l’ADN des organismes et l’évaluation comptable en nous appuyant sur des indicateurs objectivés. Que cela devienne une évidence pour tout le monde : l’efficience d’un organisme Hlm ne se limite pas à sa performance économique.

Notre société valorise de plus en plus l’efficience économique des politiques publiques. Vous n’avez pas l’impression d’être décalée par rapport à l’air du temps ?

Je ne partage pas cette vision. L’évaluation des politiques publiques, c’est aussi les coûts évités par l’action sociale. Je peux me tromper, mais je vois émerger un mouvement de retour au sens même de notre mission, à ce qui fonde notre valeur : cette mission d’utilité sociale que je défends. Je crois qu’on a de plus en plus besoin d’humain, et notamment quand l’environnement est difficile.

« La gestion sociale, c’est un ensemble d’interventions au quotidien pour prévenir les situations problématiques. Tout cela a un coût. »

les chiffre de la gestion sociale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En ligne : Étude sur les coûts de gestion de la gestion sociale dans les organismes Hlm

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PARU DANS ACTUALITÉS HABITAT N°1227 DU 28 février 2025

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