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Thème de la publication
Politique locale de l'habitatNuméro
Actualités Habitat n°1240
Paru dans
Date de publication :
30 septembre 2025
Auteur(s) :
MAGALI TRAN
Sobriété foncière : "prendre le temps, pour en gagner"
La journée professionnelle de l’USH du 17 juin a cherché à concilier relance de la production de logement social et sobriété foncière. Un vrai défi d’intelligence collective qui oblige les acteurs du logement social à adopter de nouvelles pratiques : dialogue avec les territoires, écoute des habitants, co-construction sur le temps long...
La sobriété foncière, c’est « un sujet de qualité de vie et d’avenir de leur territoire », synthétisait Marianne Louis, directrice générale de l’USH, en introduction de la journée professionnelle de l’USH du 17 juin, à Paris, sur le thème Produire du logement social à l’heure de la sobriété foncière. Animée par les expertes de l’USH Raphaële d’Armancourt et Anastasia Tymen, la journée s’est attachée en particulier aux enjeux de densification, de renaturation et d’acceptabilité sociale des projets.
Les collectivités se doivent de mobiliser leurs outils, comme les agences d’urbanisme. Celle de la métropole européenne de Lille s’attache depuis quelques années à qualifier la densité : comment l’évaluer, comment est-elle perçue, comment construire des échelles de valeur ? Pour Gaël Smagghe, chargé d’études Scot et planification, « on sait placer la température sur une échelle de valeur, donc on est capables de s’habiller en conséquence. Pour la densité, il faut construire le thermomètre commun ». Auparavant, le mot densité était tabou, poursuit son collègue Éric Gagnaire, architecte-urbaniste. Aujourd’hui, le mot est ouvertement sur la table et on étudie l’« optimisation potentielle des tissus urbains ». À Ris-Orangis (91), la commune s’est dotée d’une cartographie des sols à échelle 1/10 000e, réalisée après des forages pour « mieux comprendre où on peut construire et où il faut absolument préserver les sols, ceux qui sont anciens ou très fertiles par exemple », expliquera le maire, Stéphane Raffalli, en conclusion de la journée.
« Trouver collectivement un arbitrage »
La qualité et l’intensité du dialogue entre organismes Hlm et élus locaux apparaissent comme des conditions de réussite indispensables. Directeur Aménagement urbain et stratégie patrimoniale chez Hauts-de-Seine Habitat, Hugo Audibert relate les années de discussions avec la Ville de Colombes pour faire aboutir le projet de renouvellement urbain du quartier des Musiciens. Un groupement architecte / paysagiste / programmation urbaine a mis plus de trois ans pour aboutir à un projet qui accorde la stratégie politique des élus locaux à la stratégie patrimoniale de l’Office Hlm. La préservation du patrimoine arboré a notamment constitué un point de discussion important : au final, le projet prévoit, outre la densification du bâti, le réaménagement des espaces extérieurs avec la création de voiries rationalisées, la constitution d’un parc public qui profite des arbres existants avec jardin commun et mail planté, ainsi qu’un square. Preuve que l’« on peut construire et densifier en préservant la nature et en désimperméabilisant ».
Chez Seqens aussi, le dialogue partenarial jour un rôle décisif dans la conduite des projets. L’ESH mise sur des comités de pilotage réunissant tous les acteurs autour de la table. « Tout le monde entend les mêmes consignes et exprime ses contraintes, ce qui permet de trouver collectivement un arbitrage », souligne Noémie Bernard. Pour la directrice de l’Aménagement et de l’architecture de l’organisme, la « motivation première », c’est « d’améliorer le fonctionnement de ces quartiers, le cadre de vie ». Ce que permet la densification en introduisant plus de mixité, en requalifiant les bâtiments, tout en générant des ressources par la vente de charges foncières. Car un bon projet, de son point de vue, « c’est un projet qui soit économiquement viable ».
Alexandre Bourbotte, chargé de missions Stratégies urbaines et patrimoniales de l’URH Hauts-de-France, prend position : « Le ZAN, ce n’est pas arrêter d’urbaniser, nous devons défendre notre part, d’autant que nous sommes des acteurs plus économes en foncier que d’autres ». Pour Vincent Fouchier, directeur Prospective, partenariats et innovations territoriales de la métropole Aix-Marseille-Provence, la question est surtout celle des aménités qu’on apporte dans ces zones nouvellement urbanisées, notamment en termes de mobilités : qu’est-ce que les habitants peuvent gagner ?
« Entendre les signaux faibles qui sous-tendent les revendications »
La discussion avec les citoyens est aussi importante que celle engagée avec les élus. Maxence Gourdault-Montagne, responsable projets stratégiques habitat chez Logeo Seine, l’affirme : « Il ne faut pas lâcher et prendre tout le temps nécessaire au début. C’est du temps que l’on gagnera mille fois en qualité de projet ». Au Havre, dans le quartier du Val Soleil, le bailleur a été appelé à la rescousse par la commune enlisée dans un bras de fer avec les riverains, très attachés au manoir du XVIIe siècle à transformer. « L’acceptabilité ne se décrète pas, il faut créer les conditions. (…) On écoute ce qui est dit, mais aussi les signaux faibles qui sous-tendent les revendications ». Une phase d’idéation a permis de dénouer la situation et de faire émerger un projet original autour d’un énoncé de base : on conserve les arbres et la nature. Le Val Soleil s’organisera autour de quatre grands principes : la ville productive (réhabilitation de la partie ateliers pour des artisans ou artistes + micro ferme) ; l’habitat inclusif (ancienne crèche transformée en coliving pour personnes handicapées) ; l’accession abordable (12 logements en BRS) ; et l’animation sociale avec la réhabilitation du manoir, confié à l’association de riverains qui animera l’intégralité du site.
Aquitanis a également misé sur une transformation très progressive du site qui accueillera à terme l’écoquartier de Bongraine, à Aytré, près de La Rochelle. « On a commencé par créer un espace public que les habitants peuvent s’approprier », indique Cécile Rasselet, directrice Aménagement urbain de l’OPH. Sur cette ancienne friche SNCF polluée, l’organisme compte notamment créer des logements en habitat participatif en autogestion. L’une des difficultés est à la fois d’« ouvrir le champ des possibles très grand, tout en maintenant l’économie générale du projet. Poser le cadre sans poser un rapport de force ». Le chemin est étroit pour ne pas décevoir les habitants face à des souhaits irréalisables. Et le dialogue ininterrompu pour que chacun comprenne l’intérêt de l’autogestion : « Ce n’est pas se défausser, c’est pour que les habitants aient le moins de charges possibles », insiste la directrice.
Ce temps passé - et non perdu - en discussions au début d’un projet s’avèrera « moins coûteux que gérer un recours », estime Raphaële d’Armancourt, « même si ça ne garantit pas que le projet aboutisse. À l’inverse, si on ne prend pas ce temps, c’est un ticket pour le contentieux ».
« Moins de matières premières, plus de matière grise »
Selon l’architecte-urbaniste Sophie Ricard, « aujourd’hui, on a besoin de moins de matières premières et de plus de matière grise ». Le principe d’une permanence tenue par l’architecte permet la mise à l’épreuve du site par l’usage et donc répond à l’urgence sociale, pendant que les études sont menées en parallèle. Les ateliers aident à remporter l’adhésion des riverains, notamment en milieu rural, pour trouver des formes urbaines adaptées par exemple, abonde Lola Davidson, directrice du programme Engagés pour la qualité du logement de demain.
Selon l’Insee, 110 000 logements du territoire d’Aix- Marseille-Provence seraient très fortement sous-occupés, c’est-à-dire avec un écart de trois pièces par rapport à la composition familiale, expose Vincent Fouchier : « C’est massif ! ». Il cite pêle-mêle la possibilité de sous-location, d’occupation intergénérationnelle, de partage des tâches et de l’entretien… à encourager via des dispositifs fiscaux ou incitatifs. Le parc social est toutefois moins concerné que le parc privé. Pour le directeur Prospective, partenariats et innovations territoriales de la métropole Aix-Marseille-Provence, il faut aussi chausser de nouvelles lunettes pour envisager d’autres manières de densifier. Ainsi, l’avenir des toits ce n’est pas forcément la surélévation ; cela pourrait être l’intensification des usages, par exemple y installer des terrains de sport… qui n’occuperaient pas du foncier ailleurs.
Il n’y a pas de corrélation entre le niveau de satisfaction des habitants sur leur cadre de vie et le niveau de densité, observe pour sa part Rafaëlla Fournier, responsable au Cerema du programme transversal Stratégie de densification. En revanche, l’étude qu’elle présente montre que plus il y a d’espaces verts, plus les habitants sont satisfaits. « Les habitants recherchent la déconnexion - et pas forcément les loisirs ou le sport », d’où l’intérêt selon elle de moins flécher les usages dans les aménagements, de laisser plus de souplesse. L’étude montre également que la surélévation reste rejetée de manière générale, mais moins par les habitants des zones denses : « On est souvent plus favorable à ce que l’on connaît déjà ». D’où l’intérêt de proposer des visites à visée pédagogique. Anastasia Tymen abonde : « Les visites de site sont un des leviers les plus puissants pour démontrer la qualité de ce qui est produit, ainsi que la qualité de gestion ». Dialogue, temporalité, communication… trois leviers parmi les sept identifiés par l’USH pour favoriser l’acceptabilité des projets, à retrouver dans le cahier Repères n°150.
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PARU DANS ACTUALITÉS HABITAT N°1240 DU 30 septembre 2025
Actualités Habitat n°1240
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