
Date de publication :
15 mai 2025
Auteur(s) :
HUGO CHRISTY, BRUNO MAROT
La nouvelle génération des contrats de ville à l'épreuve des faits
Le débat “Grand format” du Réseau des acteurs de l’habitat, organisé le 31 mars, a abordé les défis et les opportunités des nouveaux contrats de ville. L’occasion de revenir sur la philosophie même de cet outil central de la politique de la ville, sur les partenariats associés entre les pouvoirs publics et le monde Hlm, et sur le rôle de l’abattement de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) en matière de gestion urbaine de proximité.
Une méthode, des moyens, et bien des questionnements : une nouvelle génération de contrats de ville voit le jour - 1 360 en métropole signés depuis 2024, bientôt rejoints par 250 contrats supplémentaires à l’échelle des quartiers ultramarins. Ce dispositif d’action publique, qui scelle des partenariats entre collectivités, État, bailleurs, entreprises et associations, vise à cristalliser les stratégies politiques et territoriales à l’œuvre dans la transformation des quartiers prioritaires.
Trois principes guident la conception de ces nouveaux contrats de ville, soulevant d’emblée des questions parmi les panélistes du “Grand format” organisé le 31 mars. Animé par la journaliste Nora Hamadi, le débat réunissait Romain Biessy, secrétaire général de la CSF (Confédération syndicale des familles), Corinne de La Mettrie, directrice générale déléguée à la politique de la ville à l’ANCT, Stéphanie Érales, directrice générale adjointe de l’ESH Patrimoine SA (groupe Midi Habitat), ainsi que Pierre-Alain Millet, adjoint au maire de Vénissieux en charge du Logement, du développement durable et du grand projet de ville, et conseiller de la Métropole de Lyon.
Un dispositif plus que jamais partenarial
Premier principe, les partenariats. Parce que ces dispositifs abordent de très nombreux défis (sécurité, emploi, insertion, renouvellement urbain, cadre de vie, cohésion sociale, etc.), ils mettent autour de la table de très nombreuses parties prenantes. Interrogée sur le risque de « foisonnement », voire d’« usine à gaz », Stéphanie Érales voit, elle, tout l’intérêt de réunir, à Toulouse, quelque 35 signataires à l’échelle du contrat de ville, des grandes entreprises locales au Stade toulousain, en passant par l’Orchestre national du Capitole : « La politique de la ville devient sexy pour ces structures qui s’inscrivent dans une forme de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), ce qui est déjà positif ».
Qui dit partenariats dit également co-construction des priorités. Plus souples, recentrés sur les besoins des territoires, ces contrats signés en 2024 marquent un tournant : les thématiques ne sont plus imposées, mais construites localement, idéalement à l’échelle intercommunale, en fonction des réalités locales et en associant les habitants. Pour Pierre-Alain Millet, cette liberté nouvelle a permis de voir émerger des sujets auparavant invisibilisés tels que le vieillissement et l’alimentation, en plus des thématiques habituelles de la politique de la ville : réussite éducative, emploi, services publics de proximité, etc.
Enfin, la nécessité de sortir d’une logique de “catalogue d’actions” pour garantir la cohérence et l’efficacité de ces dispositifs a largement été soulignée. Le contrat de ville doit avant tout améliorer le quotidien et le cadre de vie des habitants, en s’appuyant sur un projet de territoire et en évitant des logiques de cloisonnement et de dispersion des moyens comme des priorités d’action.
Un levier - et seulement un levier - des politiques de droit commun
Au-delà de la méthode, poser la question des contrats de ville oblige, en creux, à reposer celle de leur ambition. « L’objectif de la politique de la ville n’est pas qu’il n’y ait plus de quartiers populaires. L’objectif est que quand on grandit, quand on naît, quand on vit dans un quartier politique de la ville, il n’y ait pas de perte de chance supplémentaire par rapport à un autre quartier. Il y aura toujours des quartiers populaires, et ce n’est pas un échec », résume Corinne de La Mettrie.
« L’objectif des QPV, c’est sortir de la misère », avance pour sa part Romain Biessy. « Cela veut dire une politique d’égalité républicaine. Tant que les crédits spéciaux de la politique de la ville continueront à faire du saupoudrage, c’est-à-dire à compenser le manque de financements du droit commun, l’effet levier attendu pour sortir de la misère n’arrivera pas », pronostique-t-il. Ces deux points de vue mettent en lumière le constant débat sous-jacent sur le droit commun et sur son éventuel recul dans les quartiers.
« On ne peut pas demander à la politique de la ville d’avoir une baguette magique pour effacer le reste de la société. »
Une première difficulté réside dans l’évaluation même du phénomène : manques de données, complexité… Même s’il fut bien (temporairement) question de compiler ces données à l’époque de la loi Lamy, « il y a toute une partie de l’action publique qui échappe aux radars », rappelle Corinne de La Mettrie. « On ne pourra jamais mesurer 100 % du droit commun… Mais ce qu’on peut faire, il faut le faire », ajoute-t-elle. Faute d’exhaustivité, Pierre-Alain Millet avance des indicateurs simples et efficaces, comme le nombre d’emplois publics par administration dans les QPV : « Quand Bercy ferme un bureau des impôts à Vénissieux, quand la CAF ou la Carsat quittent les quartiers populaires, ce n’est pas compliqué à mesurer ».
La seconde difficulté se trouve plutôt dans l’efficacité des politiques de rattrapage. « On ne peut pas demander à la politique de la ville d’avoir une baguette magique pour effacer le reste de la société », appuie l’élu de la Métropole de Lyon. Pour la représentante de l’ANCT, les crédits de la politique de la ville ne doivent d’ailleurs « surtout pas » chercher à rattraper le droit commun, mais plutôt à « faire levier pour le droit commun », assurer une forme de « tuilage », adapté au cas par cas, et prenant en compte la spécificité des quartiers. En somme, une politique du sur-mesure, de la fine dentelle, comme suggéré par la notion même de contrat de ville. « Il est extrêmement important d'avoir des réponses, chez les organismes Hlm, adaptées en fonction des territoires », abonde Stéphanie Érales.
Politique de la ville et rénovation urbaine : deux approches complémentaires
À l’heure des bilans, c’est sans doute sur le front du bâti, de la rénovation urbaine, que les résultats de l’action publique en faveur des quartiers sont les plus visibles. L’Anru 2 a porté ses fruits, quoiqu’ayant accusé un certain retard, et des aléas importants (Covid-19, inflation, etc.). Si tous les intervenants s’accordent sur le bien-fondé d’un Anru 3, chacun apporte une pierre particulière et cherche à préfigurer son futur cahier des charges. « L’enjeu de l’Anru 3, c’est de mettre le soft devant le hard : d’abord la qualité de gestion, d’abord la qualité d’usage », avance Stéphanie Érales. « L’humain au cœur », appuie Pierre-Alain Millet, évoquant également la part des commerces, « décisive », selon lui. « Nous ne savons pas par quel outil politique prendre le départ de Casino des Minguettes », témoigne-t-il.
La question du soft peut, d’ores et déjà, être évaluée. Sécurité, propreté, services publics… Les habitants font remonter des préoccupations bien plus vastes que le seul aspect bâtimentaire. En réponse à un sentiment d’abandon, de nombreux acteurs appellent à renforcer la présence humaine dans les quartiers. Si les bailleurs sont déjà concernés par le décret “Un gardien pour 100 logements”, la CSF appelle également à un renforcement du soutien au tissu associatif - largement touché ces dernières années par une baisse des crédits publics. En vue d’un éventuel troisième acte de l’Anru, Corinne de La Mettrie ajoute la question des copropriétés dégradées, dont le traitement insuffisant a pu fragiliser une partie des bénéfices escomptés des opérations de renouvellement urbain.
Abattement TFPB : retour sur les controverses
Le débat a enfin été l’occasion pour les intervenants de revenir sur la récente instruction, lancée par la ministre de la Ville, Juliette Méadel, relative à l’élaboration et au suivi des conventions d’utilisation de l’abattement de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) dont bénéficient les bailleurs - une enveloppe d’environ 315 M€ au niveau national (dont 40 % sont compensés par l’État) consentie depuis une vingtaine d’années pour faire face aux charges de sur-entretien du parc (lire AH 1227 et 1229). Pour Corinne de La Mettrie, cette initiative est « une injonction au préfet de dire : vous devez piloter ce dispositif », à base d’indicateurs et de plans d’actions.
Les échanges ont par ailleurs mis en lumière les investissements des organismes Hlm dans les quartiers prioritaires, largement supérieurs aux montants des abattements, dans un contexte financier pourtant contraint, notamment par la réduction du loyer de solidarité. À Vénissieux, témoigne Pierre-Alain Millet, les efforts financiers des bailleurs sociaux dépassent de loin (2,3 fois environ) l’abattement de TFPB. Les marges de progrès pour améliorer la qualité résidentielle des habitants et la nécessité pour cela d’agir collectivement, chacun dans son rôle, pour l’État, les collectivités et les organismes Hlm, ont été rappelées en conclusion par Marianne Louis, directrice générale de l’USH.
« La politique de la ville devient sexy pour les structures qui s’inscrivent dans une forme de responsabilité sociétale des entreprises. »
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PARU DANS ACTUALITÉS HABITAT N°1232 DU 16 mai 2025
Actualités Habitat n°1232
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