Date de publication :
15 décembre 2023
Auteur(s) :
VICTOR RAINALDI , BRUNO MAROT
Recherche : concilier l'écologie et le social, un objectif impérieux
Comment l’urgence climatique et la transition écologique viennent redéfinir les besoins en logements et la manière de les évaluer et les projeter ? Les débats de la journée “Quoi de neuf, chercheurs ?” consacrée à cette thématique ont fait émerger de nombreux questionnements et contribué à préparer le programme de recherche qui lui sera dédié. Son lancement est programmé au printemps 2024.
Faut-il construire 500 000 logements par an? Où, de quels types et avec quels moyens? Autrement dit, quels sont les besoins réels aux échelles nationale et territoriale? Et comment mieux les comprendre, les définir et les mettre à l’agenda des politiques publiques? À l’heure de l’urgence climatique avec un scénario probable de réchauffement de + 4°C d’ici à 2100, ces questionnements prennent une importance majeure. D’autant que le logement représente 25% des émissions de gaz à effet de serre en France. Professeur de sciences politiques et co-auteur du rapport du Giec, François Gemenne place le logement au cœur des enjeux du réchauffement : “Il a un impact plus fort sur les populations vulnérables et creusera les inégalités si l’on ne prend pas soin d’articuler les politiques environnementales à des politiques de cohésion sociale dans lesquelles le logement prend une part prépondérante”.
Intitulé Les besoins en logements à l’heure de l’urgence climatique et de la transition écologique, le programme de recherche en cours de préparation entend répondre aux interrogations que suscite ce défi. Afin de l’enrichir et de l’ancrer dans les réalités des élus et des acteurs du logement, le Réseau des acteurs de l’habitat (RAH) organisait le 16 novembre une journée “Quoi de neuf, chercheurs ?” en partenariat avec le Puca (Plan urbanisme, construction, architecture) et le Réseau recherche habitat logement (Rehal). L’objectif de ce rendez-vous acteurs-chercheurs était d’actualiser les échanges et les controverses sur cet enjeu des besoins, et de coconstruire les questionnements qui seront adressés à la communauté scientifique dans le cadre du programme de recherche.
Un déficit de connaissances scientifiques
La question des besoins en logements s’est posée dès l’après-guerre avec une acuité variable selon les périodes. Très prégnante au moment du baby-boom, elle s’est ensuite quelque peu éclipsée avant de revenir avec force sur le devant de la scène. Mais les connaissances sur le sujet restent à ce jour incomplètes, la recherche scientifique s’étant peu penchée sur la question. “De quoi parlons-nous quand on évoque les besoins en logements ?”, s’interroge Jean-Claude Driant, professeur émérite à l’École d’urbanisme de Paris. Les paramètres à prendre en considération pour évaluer ces besoins étant nombreux et diversifiés, la réponse à cette question demeure controversée. Il n’est donc pas surprenant que les estimations varient de moins de 200 000 nouveaux logements à plus de 500 000. Quelle place d’ailleurs faut-il accorder aux réhabilitations et à la meilleure exploitation du parc existant dans les réponses à donner pour satisfaire ces besoins? Il est apparu clairement dans les débats que besoins de logements et constructions neuves ne sont pas synonymes. Albane Gaspard, animatrice du secteur prospective du bâtiment et de l'immobilier à l’Ademe (Agence de la transition écologique), est venue rappeler combien l’effort de rénovation des logements est indispensable pour atteindre la neutralité carbone en 2050. “Sur le cycle de vie d’un bâtiment, la seule construction génère 50 % du poids carbone d’un logement. D’où l’intérêt de moins construire pour réduire les émissions de CO2”.
Quelle évaluation quantitative et qualitative des besoins ?
Le changement climatique en cours pose également la question de l’évaluation quantitative et qualitative de ces besoins, notamment à l’échelle territoriale. Les scénarios tendanciels, au cœur des programmes locaux de l’habitat et d’outils comme Otelo, sont remis en question du fait des incertitudes autour des évolutions démographiques à venir, que ce soit en termes de décohabitation des ménages ou de flux migratoires, entre régions comme ceux venant d’autres pays. Par ailleurs, comment anticiper quels seront les territoires attractifs à horizon 20 ou 30 ans, s’interroge Pierre Madec, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ? “Nous manquons de données pour bien connaître les besoins en logement”. À ses yeux, l’indicateur des offres d’emploi, mais aussi l’attention portée aux politiques publiques d’aménagement pour développer l’activité économique et l’attractivité aideraient à nous renseigner sur les besoins futurs et à les territorialiser. Et qu’en est-il des logements en suroccupation, des colocations subies, et plus globalement du mal-logement, questionne Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé Pierre ? “La vie n’est pas un fichier Excel” où l’on considérerait qu’avec 30 millions de logements pour 20 millions de ménages la France disposerait de suffisamment de logements. Une approche toute théorique qui ne tient compte ni de la localisation de ces logements souvent loin des bassins d’emplois, ni de l’état du bâti. Un consensus s’est dégagé parmi les intervenants pour enrichir une nécessaire approche statistique et normative des besoins avec une approche également qualitative. L’objectif est notamment de se rapprocher des réalités vécues du changement climatique en prenant aussi en compte la transformation des usages et des modes d’habiter qui questionne nécessairement la conception des futurs logements (taille, orientation, isolation, etc.).
Une action publique revisitée par la transition écologique
La transition écologique questionne également la réponse aux besoins de logements, avec l’élaboration de politiques de l’habitat plus transversales, prenant encore davantage en compte l’offre de transport ou les services de proximité. Et dans une perspective de planification écologique, les instruments d’action publique habituels, de la fiscalité aux outils législatifs et réglementaires, doivent être transformés en profondeur.
Blanche Guillemot, directrice du Logement et de l’habitat de la Ville de Paris, a donné un aperçu des différents instruments mis en place dans la capitale. C’est le cas notamment du nouveau Plan local d’urbanisme bioclimatique (PLU) qui fournit les outils juridiques et règlementaires pour conduire une politique volontariste de production de logement social réparti dans l’ensemble des arrondissements parisiens, la plupart du temps dans le parc déjà existant en s’appuyant par exemple sur des servitudes de mixité fonctionnelle et le droit de préemption foncière.
À quelle échelle agir pour évaluer et répondre aux besoins en logements ?
La question de l’échelle territoriale à laquelle évaluer les besoins, concevoir et mettre en œuvre les réponses et leur planification a aussi rencontré un certain consensus. Les bassins de vie et l’intercommunalité apparaissent comme des périmètres pertinents. C’est en leur sein que les autres politiques publiques liées au logement se déploient et fabriquent l’attractivité d’un territoire : la transition écologique, les transports, l’emploi, la réindustrialisation, la réduction de l’artificialisation des sols trouvent toute leur efficacité à cette échelle. Dans le même temps, la préservation d’un objectif national de production de logements a été rappelé, c’est à l’État de fixer un cap et de mobiliser tant les moyens financiers que techniques et juridiques pour répondre à ces besoins. Mais, au regard des marges de manœuvre budgétaires contraintes des pouvoirs publics, ne serait-il pas opportun de mobiliser d’autres leviers de financement ? L’épargne des Français s’élève à 6 000 milliards d’euros, ne pourrait-on pas en flécher une partie sur la rénovation thermique des logements ? Quant à l’ingénierie, elle est très inégalement répartie et son défaut paralyse l’action des collectivités qui ne peuvent se l’offrir.
Un autre obstacle, plus spécifique aux politiques de transition écologique, a été relevé par les intervenants. Si leur principe est largement accepté par la population, leur mise en œuvre demeure impopulaire. François Gemenne appelle ainsi à un changement de philosophie en arrêtant de parler d’acceptabilité de ces politiques pour se concentrer sur la façon de rendre les nouvelles normes et manière d’habiter désirables : “L’habitat permet de montrer physiquement que les logements rénovés sont des logements plus confortables. Bien isolés ils protègent mieux du froid et des vagues de chaleur”.
Un appel à propositions et un nouvel AMI
C’est dans ce contexte riche de questionnements et de problématiques que sera lancé au printemps 2024 le programme de recherche sur les besoins en logements à l’heure de la transition écologique. Sa vocation est de poser des jalons donnant aux acteurs de l’habitat les moyens d’agir en conciliant les impératifs écologique et social. Un appel à propositions de recherche sera lancé à destination du monde scientifique, ainsi qu’un appel à manifestation d’intérêt auprès de tous les acteurs des territoires (organismes Hlm, collectivités, etc.) qui souhaiteraient contribuer à cette démarche de recherche-action.
Contact : Bruno Marot, USH : bruno.marot@union-habitat.org
Pour en savoir plus : Dossier Journées "Quoi de neuf, chercheur(s) ?"
“La vie n’est pas un fichier Excel où l’on considérerait qu’avec 30 millions de logements pour 20 millions de ménages la France disposerait de suffisamment de logements.”
Mots clés
Thèmes
PARU DANS ACTUALITÉS HABITAT N°1201 DU 15 décembre 2023
Actualités Habitat n°1201
Retrouvez cet article et beaucoup d’autres en vous abonnant au Magazine Actualités Habitat.