Actualités

Thème de la publication
Gestion locative
Numéro

Actualités Habitat n°1081

Paru dans

JUIN 2018

Actualités Habitat n°1081

Date de publication :

29 juin 2018

Auteur(s) :

LOUIS DU MERLE

Le bon "timing" pour la gestion des charges locatives

Les charges locatives récupérables continuent de nourrir un contentieux abondant. Pour prévenir des difficultés, sont ici rappelées les règles de bonne gestion ainsi que les délais encadrant les éventuelles réclamations.

Rappel des règles de bonne gestion 

Lorsque les charges locatives font l’objet de versements de provisions, elles doivent faire l’objet d’une régularisation annuelle (art. 23 et 40 de la loi du 6 juil. 1989). Un mois avant la régularisation, le bailleur doit communiquer aux locataires :

  • le décompte par nature de charges ;
  • dans les immeubles collectifs, le mode de répartition entre les locataires et, le cas échéant, une note d'information sur les modalités de calcul des charges de chauffage et de production d'eau chaude sanitaire collectifs.

Durant six mois à compter de l'envoi du décompte par nature de charges, les pièces justificatives doivent être tenues à la disposition des locataires "dans des conditions normales", c’est-à-dire dans des locaux adaptés et selon des horaires accessibles aux locataires.
Depuis le 1er septembre 2015, en application de la loi ALUR du 24 mars 2014, le bailleur est tenu de transmettre également, à la demande du locataire, le récapitulatif des charges du logement par voie dématérialisée ou par voie postale.
Régularisation tardive (art. 23 et 40 de la loi du 6 juil. 1989) : la loi ALUR a précisé les conséquences d’une régularisation tardive. Selon le texte modifié de l’article 23 de la loi du 6 juillet 1989, "lorsque la régularisation des charges n’a pas été effectuée avant le terme de l’année civile suivant l’année de leur exigibilité, le paiement par le locataire est effectué par douzième, s’il en fait la demande". Depuis, les juges rappellent régulièrement que le paiement du solde des charges par douzième est la seule sanction encourue ; le locataire ne peut pas exiger une exonération des charges dues, en invoquant le défaut de régularisation (en ce sens, voir notamment : CA Nîmes, 19 avr. 2018, n° 17/02010).
À la sortie du logement (art. 22 de la loi du 6 juil. 1989), le bailleur n’est pas tenu de procéder immédiatement à la régularisation des charges. Dans les immeubles collectifs, la loi autorise le bailleur à procéder à un arrêté provisoire des comptes (les parties peuvent toutefois préférer convenir amiablement de solder immédiatement l'ensemble des comptes).
En cas d’arrêté provisoire des comptes, le bailleur reste tenu de restituer le dépôt de garantie dans un délai maximal de deux mois, à compter de la restitution des clés (ce délai est ramené à un mois lorsque l'état des lieux de sortie est conforme à l'état des lieux d'entrée), mais il peut conserver une provision jusqu'à l'arrêté annuel des comptes de l'immeuble. Cette provision est plafonnée : elle ne peut excéder 20% du montant du dépôt de garantie. La régularisation définitive et la restitution du solde doivent être effectuées dans le mois qui suit l'approbation définitive des comptes de l'immeuble.
Si la régularisation définitive révèle un solde positif au profit du locataire, la Cour de cassation précise que cette créance n’est pas soumise à la majoration de 10% applicable en cas de retard dans la restitution du dépôt de garantie. La somme due par le bailleur résultant de la régularisation des charges est soumise à un délai spécifique, ce qui exclut qu’elle soit prise en compte dans l’application de la pénalité des 10% (Cass. Civ. 3e, 31 mai 2018, n° 17-18.069).

La gestion des réclamations

Le bailleur qui ne régularise pas annuellement les charges reste en droit de réclamer le paiement des charges sur plusieurs années, dans la limite de la prescription de son action en recouvrement de sa créance. L’action en réclamation du locataire est également encadrée par un délai.

Délai de prescription applicable

​​​​Depuis l’entrée en vigueur de la loi ALUR, le bailleur dispose d’un délai de trois ans à compter de la date d'exigibilité des charges pour en réclamer le paiement (art. 7-1 de la loi du 6 juil. 1989). Avant la loi ALUR, l’action en paiement des charges locatives se prescrivait par cinq ans, en application des règles du droit commun (art. 2224 du Code civil).
Pour les baux en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi ALUR, le nouveau délai de prescription s’applique dans les conditions de l’article 2222 du Code civil. En application de cette disposition, les créances de charges impayées et exigibles antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi ALUR, sont soumises à une application combinée des délais de prescription. Il convient donc de prendre en compte :

  • le délai de prescription applicable au moment où est exigible la créance (art. 2224 du code civil), soit cinq ans ;
  • le nouveau délai de prescription : trois ans (art. 7-1 de la loi du 6 juil. 1989).

En conséquence, les créances de charges nées avant l’entrée en vigueur de la loi ALUR sont prescrites depuis le 28 mars 2017 (trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi ALUR). Aux termes de ce même article 7-1, le locataire dispose aussi d’un délai de trois ans pour contester le montant de la provision sur charges, s’il estime avoir trop versé (auparavant, le délai était également de trois ans, en application de l’article 68 de la loi du 1er septembre 1948 par renvoi des articles L. 353-15 et L. 442-6 du CCH).

Point de départ de la prescription

Dans deux arrêts récents (Cass. Civ. 3e, 8 mars 2018, n° 17-11.985 ; Cass. Civ. 3e, 9 nov. 2017, n° 16-22445), la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser de façon très nette le point de départ du délai de prescription applicable à l’action du locataire en contestation des charges : il court à compter du jour de la régularisation des charges. La Haute juridiction a pris soin d’apporter des éléments d’explication à cette solution : en effet, elle souligne que seule cette régularisation "permet au preneur de déterminer l’existence d’un indu". Ce faisant, la Cour abandonne sa position antérieure consistant à fixer le point de départ du délai à compter de "la date du paiement de chacune des sommes indues dont le remboursement est demandé". (Cass. Civ. 3e, 23 mars 2011, n° 10-10.013).
Cette solution a une conséquence importante : tant que le bailleur ne régularise pas les charges, la prescription applicable aux éventuelles actions du locataire ne court pas, ce qui est de nature à préserver ses droits. La jurisprudence aura néanmoins à clarifier le champ de cette solution : a-t-elle vocation à s’appliquer à l’action en recouvrement intentée par le bailleur ? Sur cette question, deux décisions des juges du fond sont remarquables.

  • Concernant l’exigibilité des provisions : la Cour d’appel de Paris a rappelé que les provisions de charges étaient exigibles à la date prévue au bail (CA Paris, 2 oct. 2002, n° 2000/20724). En l’espèce, il était soutenu que le point de départ de la prescription ne pouvait être la période d’appel périodique des charges, en raison de la régularisation définitive des charges qui, par hypothèse, n’intervenait qu’après la fin de chaque année civile. La Cour d’appel n’a pas retenu cette argumentation au motif que les créances de charges par provision périodique étaient contractuellement dues de manière concomitante à chaque terme du loyer, sans que leur chiffrage exact arrêté ultérieurement selon les modalités prévues dans le bail les rende rétroactivement inopérantes (voir dans le même sens, CA Paris, 29 mars 2000, AJDI 2000, p. 637).
  • Concernant l’exigibilité des créances de charges issues de la régularisation : dans une décision du 10 septembre 2015, la Cour d’appel de Versailles a retenu que le point de départ de la prescription est constitué, non pas du jour où le bailleur fait la demande de régularisation, mais du jour où il a eu entre les mains tous les documents lui permettant de régulariser les comptes (CA Versailles, 10 sept. 2015, n° 14-05994).

Une clarification de la jurisprudence sur cette question serait bienvenue.

 

THÈMES : Bail d’habitation – Charges locatives – Paiement et répartition et révision.

CONTACT : Louis du Merle ; Direction juridique et fiscale ; Tél. : 01 40 75 78 60 ; Mél. : ush-djef@union-habitat.org.

 

Jurisprudence : vers une exigence de proportionnalité dans la réclamation des charges locatives ?

Dans un arrêt remarqué en date du 21 mars 2012, la Cour de cassation a considéré que la réclamation du bailleur en paiement des charges, présentée sur une période écoulée de cinq ans, de plus du triple de la somme provisionnée, si elle était juridiquement recevable et exacte dans son calcul était, dans ce cas, déloyale et brutale et constitutive d'une faute dans l’exécution du bail. En l’espèce, le locataire a été condamné au paiement des charges, mais le bailleur a été condamné au paiement de dommages et intérêts pour un montant supérieur à celui des charges dues (Cass. Civ 3e, 21 mars 2012, n° 11-14174).
Dans un autre arrêt, la Cour de cassation a également relevé un différentiel important entre la provision mensuelle (100 euros par mois) et la réalité des charges effectivement dues (2 373,44 euros en 2007 et 2 596,18 euros en 2008). Selon la Cour, "en ne prévenant pas ses locataires de cette différence à défaut d'une régularisation annuelle, [la bailleresse] avait commis une faute préjudiciable aux époux Y… [locataire] qu'elle avait privés de la faculté de résilier le bail du fait de ce surcoût dont ils n'avaient pas connaissance". En raison de cette faute, la bailleresse a été condamnée au paiement de dommages et intérêts. (Cass. Civ. 3e, 8 oct. 2015, n° 14-21710).
Depuis, quelques décisions des juges du fond ont fait écho à cette exigence de proportionnalité entre les provisions et les charges réellement dues.
Par exemple, la Cour d’appel de Nîmes a jugé que la sous-estimation des provisions (20 euros/mois en 2014) sur les charges appelées en 2015 et 2016 (77 euros/mois) engageait la responsabilité du bailleur. Selon la cour, "un tel écart est de nature à affecter l’organisation et la tenue d’un budget [des locataires] aux ressources modestes" (CA Nîmes, 19 avril 2018, n° 17/02010).
La Cour d’appel de Colmar a, elle, jugé que "la régularisation tardive des charges, pour des montants conséquents, excédant largement les provisions versées mensuellement, effectuée en une seule fois par le bailleur pour toute la période de location concernée, de 2009 à 2015, constitue une faute" (CA Colmar, 26 mars 2018, n° 16/05963). La Cour d’appel de Reims a jugé que "si la régularisation annuelle fait apparaître un écart important entre le montant provisionné et le montant réel des charges dues, le locataire peut engager la responsabilité du propriétaire bailleur et obtenir des dommages et intérêts pour le préjudice qu’il subit du fait de la sous-estimation de la provision." (CA Reims, 9 février 2018, n° 17/00714).
Toutefois, la portée de ces décisions doit être relativisée et limitée à des circonstances particulières. En effet, la Cour de cassation rappelle de façon constante que "si le juge peut sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, il ne peut porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties" (Cass. Civ. 3e, 15 déc. 2016, n° 15-22844 ; voir également dans le même sens : Cass. Civ. 3e, 2 déc. 2014, n° 13-23988). Autrement dit, la Cour réitère le pouvoir des juges de sanctionner la mauvaise foi contractuelle du bailleur, tout en réaffirmant la légitimité de ce dernier à réclamer des arriérés de charges (sous réserve de justifications et de la prescription). Seuls les cas de déloyauté caractérisés peuvent être sanctionnés.

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PARU DANS ACTUALITÉS HABITAT N°1081 DU 29 juin 2018

Actualités Habitat n°1081

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