Actualités

Thème de la publication
Gestion de crise
Numéro

Actualités Habitat n°1120

Paru dans

AVRIL 2020

Actualités Habitat n°1120

Date de publication :

17 avril 2020

Auteur(s) :

ALIMA MIAL

L'impact sur les marchés de travaux en cours d'exécution

De nombreux textes pris pour faire face à la crise sanitaire impactent l’exécution des marchés de travaux. Revue de l’ensemble des dispositions.

Le premier texte qui impacte les marchés est le décret 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 qui crée une obligation de confinement.

Si le gouvernement a pris la décision d’interdire tout déplacement en dehors de son domicile il autorise "les trajets entre le domicile et le ou les lieux d'exercice de l'activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d'être différés" (art. 1-1 du décret) et les "déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées par l'article 8 du présent décret" (décret en date du 24 mars 2020 n°2020-293), dans la mesure où le télétravail n’est pas possible et les gestes barrières et l’ensemble des consignes permettant d’éviter la contamination peuvent être respectés. Parmi les activités autorisées à ouvrir figurent celles liées aux négoces des matériaux et équipements de la construction.

Un cas de force majeure ?

À présent, se pose la question de savoir, pour l’ensemble des acteurs de la construction, si la crise sanitaire peut être un motif justifiant la suspension ou la prolongation de l’exécution de leurs marchés et notamment du marché de travaux. Il sera nécessaire de se reporter aux clauses du marché pour y rechercher les stipulations contractuelles afférentes à la suspension ou à la prolongation des obligations contractuelles, et notamment si elles font référence au Cahier de clauses administratives générales (CCAG) marchés publics de travaux ou à la norme Afnor NF P 03-001 des marchés privés de travaux.

Par ailleurs, les parties au contrat peuvent ne pas exécuter ou différer la réalisation des obligations qui leurs incombent s’ils démontrent la force majeure (Cf. art. 1218 du Code civil). Les conditions de la force majeure ont été rappelées par la Direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie dans sa fiche relative à la passation et à l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire : "Sous réserve de stipulations contractuelles aménageant les cas de force majeure, ceux-ci se constatent au cas par cas dès lors que les trois conditions cumulatives suivantes sont réunies : l’événement était imprévisible. Cette condition est remplie en l’espèce, cet événement est extérieur aux parties et cette condition est également remplie. Le titulaire du marché public ou l’acheteur public se trouve dans l'impossibilité absolue de poursuivre, momentanément ou définitivement, l'exécution de tout ou partie du marché public. Il convient donc de vérifier si la situation résultant de la crise sanitaire actuelle, notamment le confinement, ne permet effectivement plus au prestataire de remplir ses obligations contractuelles".

Le deuxième texte qui impacte les marchés est la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 qui instaure l’état d’urgence sanitaire.

Cette loi instaure un dispositif d'état d'urgence "sanitaire" afin "d'affermir les bases légales" sur lesquelles reposaient jusqu'ici les mesures prises pour gérer l'épidémie de Covid-19 et autorise le gouvernement à prendre, par ordonnances, dans les trois mois suivant sa publication, des mesures provisoires afin de répondre à la situation de confinement que connaît le pays et notamment dans les domaines du droit du travail et de la commande publique.

Un régime d’exception au profit du titulaire du marché

Le dernier texte qui impacte les marchés est l’ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au Code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid-19 qui modifie le droit au commun des contrats.

Son article 1er fixe son champ d’application et son application dans le temps. Sont soumis à ces dispositions tous les contrats de droit public mais aussi les contrats passés en application du Code de la commande publique, de sorte que les marchés des organismes privés Hlm entrent dans son champ d’application. Cette ordonnance prévoit une entrée en vigueur rétroactive de ses dispositions à compter du 12 mars 2020 jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire, et ce durant deux mois après sa fin ; elle encadre strictement son application à l’impact lié à la propagation de l'épidémie de Covid-19 sur la passation et l’exécution des achats publics.

Alors que le Code de la commande publique ne contient qu’exceptionnellement des dispositions relatives à l’exécution des marchés, l’ordonnance prévoit que ses dispositions font échec aux clauses contractuelles contenues dans les marchés relatives à leur exécution, à moins que ces dernières soient plus favorables au titulaire du marché de travaux que ce que prévoit ladite ordonnance, remettant ainsi en cause les obligations contractuelles des parties, et instaurant un régime d’exception au profit du titulaire du marché (Cf. son art. 6).

L’ordonnance crée un droit de prolongation du marché public au profit du titulaire du marché. Ce dernier peut imposer à l’acheteur, avant l’expiration du délai contractuel, la prolongation de ses obligations contractuelles d’une durée égale à la durée d’application de ladite ordonnance uniquement dans deux hypothèses : l’impossibilité d’exécuter dans les délais une ou des obligations contractuelles ou si l’exécution dans les délais constituent une charge manifestement excessive.

Elle crée un régime juridique protecteur au profit du titulaire du marché dans trois hypothèses :

- en cas d'impossibilité d'exécuter tout ou partie d'un bon de commande ou d'un contrat. Le titulaire du marché public devra justifier l’insuffisance de moyens et une charge manifestement excessive. Dans ce cas, il ne peut être sanctionné, ni se voir appliquer les pénalités contractuelles, ni voir sa responsabilité contractuelle engagée ;
- en cas d'annulation d'un bon de commande ou la résiliation du marché par l'acheteur liée au Covid-19 : le titulaire peut être indemnisé des dépenses engagées lorsqu'elles sont directement imputables à l'exécution d'un bon de commande annulé ou d'un marché résilié. Dans ce cas, l'acheteur peut conclure un marché de substitution avec un tiers pour satisfaire ceux de ses besoins qui ne peuvent souffrir aucun retard, nonobstant toute clause d'exclusivité et sans que le titulaire du marché initial ne puisse engager, pour ce motif, la responsabilité contractuelle de l'acheteur. L'exécution du marché de substitution ne peut être effectuée aux frais et risques de ce titulaire ;
- en cas de suspension par l'acheteur d’un marché à prix forfaitaire en cours d’exécution : l’acheteur procède sans délai au règlement du marché selon les modalités et pour les montants prévus par le contrat. À l'issue de la suspension, un avenant détermine les modifications du contrat éventuellement nécessaires, sa reprise à l'identique ou sa résiliation ainsi que les sommes dues au titulaire ou, le cas échéant, les sommes dues par ce dernier à l'acheteur.

Il conviendra de vérifier, au cas par cas, si la situation résultant de la crise sanitaire actuelle, notamment le confinement, ne permet effectivement plus au prestataire de remplir une ou ses obligations contractuelles.

Chaque opération de travaux devra donc faire l’objet d’une appréciation in concreto, au cas par cas, de la part de l’ensemble des acteurs de la construction : le maître d’ouvrage, le coordonnateur SPS, l’équipe de maîtrise d’œuvre et les titulaires des marchés de travaux.

Contact : Alima Mial, conseillère juridique commande publique, contrats techniques, bâtiment & développement durable, Direction juridique et fiscale - Tél. : 01 40 75 78 60 ; Mél. : ush-djef@union-habitat.org

 

Que doit faire le bailleur en cas d’interruption de chantier ?

- 1ère mesure : convoquer d’urgence une réunion de chantier

Les maîtres d’ouvrage doivent convoquer en urgence à une réunion de chantier l’ensemble des intervenants dans l’acte de construire : la maîtrise d’œuvre, le coordonnateur SPS et l’ensemble des titulaires des marchés de travaux. En l’occurrence, il est demandé à l’ensemble des acteurs de la construction d’avoir l’esprit très ouvert et imaginatif afin de repenser le projet de construction à la lumière de l’état du droit exceptionnel. À cette fin, il conviendra d’envisager des solutions et des aménagements compatibles avec la réalisation du projet de construction sans risque pour la santé des travailleurs.

À l’ordre du jour de la réunion de chantier devront figurer les points suivants : quelles sont les mesures à prendre pour poursuivre l’exécution des marchés de travaux sans aucun risque pour la santé des travailleurs ? Quels sont les freins à la réalisation des obligations contractuelles ?

Recommandation : instaurer un dialogue avec les acteurs de la construction. Il faut notamment les rassurer sur la démarche, en leur rappelant le rôle du maître d’ouvrage en matière de principes de prévention sur un chantier de génie civil et de bâtiment (Cf. art. L.4531-1 du Code du travail). Il est préconisé également de privilégier les échanges à distance pour limiter la diffusion du Covid-19 : courriel, téléphone, utilisation du BIM ou visio-conférence. Des comptes rendus détaillés doivent être réalisés et communiqués à l’ensemble des participants.

- 2ème mesure : décider de poursuivre ou non le chantier

Les réponses aux questions précédentes permettront de savoir si le chantier peut se poursuivre. Si le chantier doit être suspendu, quelles sont les mesures urgentes de mise en sécurité et de gardiennage qui doivent être prises ?

Et surtout, elles doivent permettre de vérifier si le titulaire peut bénéficier du dispositif juridique prévu par l’ordonnance en date du 26 mars 2020 (Le titulaire du marché public peut-il imposer à l’acheteur une prolongation de ses obligations ? Le titulaire du marché est-il dans le cas d’une impossibilité d’exécuter ses obligations contractuelles ?) et de répondre à la question de savoir si l’impossibilité de poursuivre relève de la force majeure. La Direction des affaires juridiques du ministère de l'Économie, des Finances, de l'Action et des Comptes publics ayant reconnu que la crise sanitaire revêt les deux premiers critères de la force majeure que sont l’imprévisibilité et l’extériorité des parties, il convient de vérifier si l’irrésistibilité est caractérisée.

En savoir plus : note détaillée dans l’espace droit et fiscalité de l’USH dans le dossier "marchés des organismes Hlm/contrôle et contentieux/contentieux de l’exécution".

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PARU DANS ACTUALITÉS HABITAT N°1120 DU 15 avril 2020

Actualités Habitat n°1120

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