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Thème de la publication
Transition numérique
Numéro

Actualités Habitat n°1144

Paru dans

MAI 2021

Actualités Habitat n°1144

Date de publication :

26 mai 2021

Auteur(s) :

ELÉONORE EVAIN-DORADO

Concevoir des services numériques inclusifs avec le kit boussole

Parce que les locataires ne sont pas tous égaux devant un écran, l’USH propose un outil à destination des organismes désireux d’adapter leur offre digitale à tous les publics.

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L’USH a lancé en 2020, en partenariat avec la Fondation Internet nouvelle génération (Fing) et l’agence de design d’intérêt général Vraiment Vraiment, une étude sur l’inclusion numérique dans une approche singulière, celle de l’offre numérique développée et mise à disposition par les organismes Hlm aux locataires. Qu’est-ce que l’inclusion numérique ? Comment intégrer l’inclusion dans les projets de services numériques ? Comment tendre vers une approche transversale avec l’ensemble des parties prenantes ? Quels sont les leviers ?... Autant de questions abordées dans ces travaux, dont les conclusions ont été partagées le 23 mars dans un webinar ayant réuni 250 participants.

Selon une enquête du Crédoc réalisée en 2020, à la demande de l’USH, le niveau d’équipement et les usages des locataires du parc social suivent de façon globale les évolutions constatées entre 2013 et 2019 auprès de la population générale. Dans le détail, il s’avère que le smartphone est le mode privilégié de connexion à Internet (71% des locataires) et que la part des personnes utilisant Internet pour réaliser les démarches administratives est moindre chez les locataires (65%) qu’au sein de la population générale (70%). Céline Di Mercurio, experte sur les sujets d’inclusion numérique à l’USH, précise qu’un locataire sur cinq n’utilise pas les outils informatiques et numériques ou abandonne l’usage dès l’apparition d’une difficulté.

Multiples freins aux usages numériques

Jacques-François Marchandise, délégué général de la Fing, alerte sur le fait que l’inclusion se cache souvent dans les détails et que les freins ne relèvent pas tous du numérique. Ils peuvent venir d’une offre inadaptée et ne répondant pas aux besoins de la personne, mais aussi de sa langue ou de son langage, de sa culture...

Les enjeux principaux de l’inclusion numérique portent sur la conception des services supposant une compréhension des utilisateurs-utilisatrices et sur ceux relatifs à l’accompagnement et à la socialisation.

C’est sur la base de ce cadre général, que deux témoignages d’organismes Hlm, portés par Carole Perin de Reims Habitat et Xavier Denis de Batigère, illustrent la façon dont l’inclusion se pose au sein de leur entreprise (application mobile, avis d’échéance dématérialisé, bâtiment connecté...) et les leviers déjà activés (accompagnement aux usages numériques, partenariat local avec la CAF, Pôle emploi, état de l’art dans les projets numériques et à toutes les étapes...).

Une boussole pour repérer les solutions

La seconde partie du webinar était consacrée au livrable de l’étude sur la conception de services numériques, le “kit boussole pour concevoir des services numériques inclusifs”. Cet outil est le fruit d’une investigation menée auprès de six organismes Hlm (Batigère, Groupe Valophis, Aiguillon Construction, Reims Habitat, Paris Habitat, 1001 Vies Habitat). Margot Beauchamps, de la Fing, souligne que la méthodologie, fondée sur des entretiens et des ateliers de travail, a permis une forte implication des bailleurs participants dans la définition du livrable. Le matériau collecté, ainsi que les centres d’intérêts exprimés, ont abouti à l’idée du kit comprenant différents outils à tester.

Xavier Figuerola, de l’agence Vraiment Vraiment, précise que ce kit n’apporte pas des solutions clés en main, sa fonction étant d’aiguiller le cheminement de pensée pour trouver des solutions. Les outils se pratiquent en groupe, avec les équipes métiers des bailleurs sociaux et les locataires. Ils servent aussi à interroger la relation aux acteurs locaux agissant en faveur de l’inclusion numérique, tout comme le rapport aux éditeurs ou entreprises innovantes.

Le kit est constitué d’une pochette comprenant deux affiches (l’une sur les acteurs locaux, l’autre sur les freins aux usages numériques et le parcours utilisateurs des locataires), un nuancier de questions à se poser ainsi qu’un carnet de veille inspirante avec des exemples français et étrangers.

Trois des organismes Hlm participants à l’étude (Paris Habitat, Aiguillon Construction, Reims Habitat) ont présenté des utilisations possibles et futures de ce kit parmi lesquelles : affiner les freins aux usages numériques des locataires pour mieux les accompagner, animer des groupes projets inter-métiers en s’appuyant sur le nuancier de questions, développer l’acculturation interne sur le numérique inclusif...

Contact : Céline Di Mercurio, responsable de département Développement social des quartiers, inclusion numérique et innovation sociale, USH. Mél. : celine.dimercurio@ union-habitat.org

Pour en savoir plus : Kit boussole : Concevoir des services numériques inclusifs

 

Interview de Jacques-François Marchandise, délégué général de la fing

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“Les personnes socialisées s’en sortent beaucoup mieux”

Qu’est-ce-que la Fondation Internet nouvelle génération ?

Notre association, créée début 2000, mène des recherches exploratoires sur les transformations numériques (politiques, techniques, sociales, économiques), et des travaux plus appliqués. Nous rassemblons des adhérents très hétérogènes, publics et privés, chercheurs et professionnels. Nos productions visent l'intérêt général et sont en licence libre.

Comment définissez-vous l’inclusion numérique ?

Les démarches d'inclusion numérique visent à répondre aux exclusions que le numérique peut provoquer ou amplifier ; et à tirer parti du numérique face aux exclusions préexistantes. On a longtemps parlé d'une fracture numérique sociale. La recherche a montré depuis vingt ans que la question était plus complexe : beaucoup de personnes connectées ont des difficultés numériques et les non-usages ne sont pas toujours synonymes d'exclusion. Les politiques publiques se sont longtemps contentées de s'occuper des publics “retardataires” et éloignés du numérique, c'est une logique de voiture-balai, trop “technocentrée”. Depuis la déclaration de Riga en 2006, la vision européenne est axée sur des objectifs d'inclusion sociale, et non plus uniquement techniques.

Pour beaucoup de publics, la difficulté principale est la fracture administrative (comprendre à qui s'adresser, remplir un formulaire, gérer ses papiers), pour d'autres, c'est la relation à la langue (française), au vocabulaire (technique ou administratif), à l'écrit. Mais l'un des principaux facteurs à prendre en compte est l'isolement : les personnes seules ou les familles monoparentales les moins socialisées n'ont personne à qui demander de l'aide. Les personnes socialisées (entourées de familles, amis, associations) s'en sortent beaucoup mieux. L'adolescence est un âge très socialisé, avec de fortes pratiques numériques. C'est aussi le cas pour beaucoup de jeunes seniors.

En quoi les enjeux de l’inclusion numérique du secteur Hlm font écho avec ceux d’autres acteurs publics ou ayant une mission d’intérêt général ?

Les locataires sont aussi des usagers de l'administration et d’opérateurs sociaux, de services publics nationaux et territoriaux. Les événements de vie qui génèrent beaucoup d'interactions avec les organismes Hlm en provoquent simultanément avec ces autres acteurs : changements familiaux, économiques, déménagements. Les publics sont confrontés à des dizaines d'interfaces numériques, de comptes en ligne, de documents dématérialisés et doivent se débrouiller pour mettre l'ensemble en cohérence.

Les actions sur l’inclusion numérique semblent plus souvent porter sur les personnes et moins sur l’offre, comment l’expliquez-vous ?

La numérisation a souvent eu pour but initial le fonctionnement des organisations plutôt que la prise en compte des usages. Les médiateurs numériques ont longtemps accompagné les publics face à des services numériques dysfonctionnels. Le recours au design est l'une des façons de concevoir autrement les services numériques. C’est pourquoi nous avons choisi de collaborer avec l'agence Vraiment Vraiment qui a fait ses preuves en la matière.

Que retenez-vous de l’étude partenariale conduite avec l’USH et les échanges avec les organismes Hlm sur les services numériques inclusifs ?

Nous avons pu travailler avec des bailleurs sociaux très conscients des enjeux d'inclusion au regard des spécificités des publics et de leurs missions, anticipant un risque réel et choisissant de le traiter sous l'angle de la maîtrise d'ouvrage et de la conception inclusive. C’est extrêmement stimulant. D’ailleurs, cette étude nous fait beaucoup avancer vers un numérique plus équilibré et “capacitant”.

Propos recueillis par Céline Di Mercurio

 

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PARU DANS ACTUALITÉS HABITAT N°1144 DU 17 mai 2021

Actualités Habitat n°1144

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